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Les Carnets de la Sécession, tome 1 - Le Bal des dupes
de Guimin
Glénat - Vécu 2000 /  9.01 €- 59.02  ffr. / 48 pages
ISBN : 2-7234-2578-9
FORMAT : 22 X 30

L'histoire floue d'un dandy dans la Sécession

On s'attend en ouvrant Les Carnets de la Sécession à une chronique de la guerre du même nom, et dès la première page apparaît en effet la prose prétentieuse d'un jeune homme de noblesse française, Charles de La Bédoyère, venu chercher dans l'Amérique de la guerre de Sécession un peu d'aventure et de divertissement. Le lecteur suit les pérégrinations du marquis, de son débarquement à New York à son arrivée au front, en passant par son accueil chez les Kinlay, amis de la famille qui ont facilité son acceptation dans l'armée yankee. Au fur et à mesure des pages se confirme l'impression première : Charles est un mélange de cynisme et d'idéalisme, un dandy qui aime les plaisirs artificiels et fait la preuve de son courage, un séducteur qui juge les femmes et veut les dominer. C'est un héros très sûr de lui, hautain, antipathique mais qui aurait pu être une figure intéressante.

Pourtant, la peinture de son caractère manque de subtilité et d'originalité. Car Charles de La Bedoyère évoquera pour les lecteurs de Durango le Maximilien du Destin d'un Desperado : il s'agit de la même recherche identitaire dans l'exil, et dans une cause morale qui est surtout une quête de soi. Les deux personnages ont aussi la même témérité, celle qui fait que Maximilien se sacrifie pour la révolution mexicaine, et que Charles prend la tête d'un assaut insensé contre les confédérés.

Guimin utilise lors de cette scène-clé un procédé banal qu'Yves Swolfs, et beaucoup d'autres, ont utilisé avant lui : c'est au moment où le héros se dépasse que viennent s'intercaler en noir et blanc, entre les images du présent, des souvenirs d'enfance qui hantent son esprit. Au paroxysme de l'action, Charles puise dans son être le plus profond pour se donner du courage : mais l'album n'a pas la force passionnante des Durango, et le lecteur n'a pas envie d'y croire. Il reste finalement extérieur à l'histoire de cette tête brûlée qui sort vivante du carnage qu'elle a provoqué. Ce manque de sympathie - au sens étymologique du terme - est peut-être dû au graphisme hésitant. Il révèle une patte personnelle, un parti-pris, et les couleurs ternes et passées peuvent certes donner l'impression assez plaisante de feuilleter des images d'époque : mais elles ne parviennent malheureusement pas à rehausser un dessin au trait relativement grossier. Certains personnages se ressemblent trop, et on ne les reconnaît pas toujours d'une page à l'autre : le traitement des visages et des corps donne le sentiment d'avoir été bâclé.

Mais, si l'album ne captive pas le lecteur, c'est aussi que l'histoire manque de surprise : c'est un chemin trop prévisible où s'engouffrent les pas de Charles de La Bédoyère. On n'est pas étonné que le héros devienne un embarras pour son état-major : certes son instinct de bravade était une folie, mais il a permis de prendre des positions sur l'ennemi. Il faut donc le punir... et le récompenser. Dilemme classique pour ceux qui doivent juger ces fortes têtes qui n'obéissent qu'à leur loi intérieure : Charles est promu, mais muté. Ambigu dénouement d'un scénario qui par ailleurs manque parfois de clarté, et c'est bien là le paradoxe : car si le parcours de Charles n'étonne pas, certains aspects de l'histoire demeurent obscurs.

Pourquoi, au nom de quels principes Charles défie-t-il son hôte dans les dernières pages ? Est-ce à cause de ces "affaires" dont François Kinlay s'occupe et dont on ne comprend pas très bien la teneur ? En fait, l'album apparaît trop centré sur un seul personnage, à qui l'auteur veut faire endosser tous les rôles : en faisant de Charles le héros, le narrateur, le chroniqueur, Guimin prend le parti de mettre en images les carnets d'un noble à la recherche de lui-même, mais ce n'est pas le meilleur moyen de faire saisir au lecteur la véritable atmosphère de l'époque. Après avoir lu Les Carnets de la Sécession, on a presque envie d'aller faire un tour du côté des Tuniques Bleues de Lambil et Cauvin : après tout, sur le mode de l'humour, Blutch, Chesterfield et le capitaine Stark nous en apprennent autant sur la guerre civile des Américains.

Thomas Bronnec
( Mis en ligne le 23/03/2000 )
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