L'actualité du livre
Bande dessinéeet Manga  

Free soul
de Ebine Yamaji
Asuka - yuri 2005 /  9,00 €- 58.95  ffr. / 206 pages
ISBN : 2-84965-054-4
FORMAT : 15x21 cm

Sayonara mon amour

Ça commence comme dans un conte de fées : une belle jeune fille paumée (Keito) est recueillie par une vieille femme artiste peintre quelque peu gâteuse qui a pour assistant-cuisinier-modèle un éphèbe ténébreux des plus craquants. Mais voilà, si Keito a été mise à la porte par sa mère, c’est parce que cette dernière ne tolère pas son homosexualité. Le mot est d’ailleurs rapidement lâché, thématique centrale et omniprésente de chacune des publications de Yamaji.

Largement autobiographique, ce one shot sème d’emblée la confusion avec un livre dans le livre qui n’en rend l’héroïne principale que plus vivante. C’est à travers un style sensuel (voire charnel) que l’auteur opère un démembrement de l’ambivalence et l’étrangeté des rapports humains, avec toute l’incompréhension qu’ils peuvent véhiculer. On ne connaît finalement jamais vraiment l’autre. Ses aspirations les plus profondes, ses espérances les plus secrètes nous restent inconnues, et ce constat ne manque pas de saisir les protagonistes d’un vertige étourdissant. Ces derniers, agités par des sentiments très opposés, se brûlent ainsi les ailes, consumés par des passions dévastatrices parce qu’impossibles. Chassé-croisé amoureux complexe de personnages qui ne vivent que d’amour et d’eau fraîche, l’œuvre s’attache à dépeindre avec talent toute la violence de cet indicible sentiment. Le tout agrémenté d’un romantisme noir digne des poètes maudits du XIXe (siècle, pas arrondissement) : « Être solitaire, c’est être libre ».

Yamaji s’installe ainsi dans un exercice où elle excelle : celui d’emmener le lecteur avec tact sur des chemins aventureux et parfois dérangeants. Nous voilà donc face à une kyrielle de lesbiennes aussi ravissantes les unes que les autres, qui feraient virer sa cuti à la plus renfrognée des hétéros. Mais ce monde peuplé d’êtres longilignes, délicats et sensibles aux vies exceptionnelles, qui se démarquent de surcroît par une sexualité « hors norme », se révèle parfois une sublimation quelque peu naïve de l’homosexualité, représentée avant tout comme une audace, une rébellion contre un conformisme triste, presque comme un choix délibéré. Outre le fait d’être faussée, cette conception des choses peut être pompeuse, voire élitiste. Sans sombrer toutefois dans une revendication trop facile, le manga nous présente tout de même un univers aseptisé où tout le monde serait beau et gentil, et aurait une histoire familiale extrêmement compliquée, ceci expliquant cela. Souffrir de l’absence d’un père serait donc un facteur de risque majeur de sombrer dans la déviance. Difficile d’adhérer à cette vison aussi simpliste que réductrice…

On retiendra en toile de fond le conflit générationnel qui oppose Keito à sa mère, avec le regard chargé d’incompréhension de cette dernière sur sa fille et une condamnation sans appel de son mode de vie. D’aucuns y verront la représentation d’une société qui ne parvient pas à accepter ce(ux) qui ne rentre(nt) pas dans le moule de la bienséance mais qui la constitue(nt) malgré tout. Cette « anormalité », stigmatisée ici par l’homosexualité, renvoie à une idée beaucoup plus générale de l’intolérance qui gangrène chacun d’entre nous : racisme, sexisme, etc. L’air de ne pas y toucher, Yamaji s’attaque tout en délicatesse à l’esprit petit-bourgeois des plus médiocres qui nous guette constamment, et use de l’art subtil de la suggestion pour nous renvoyer à nos travers les plus primitifs, revendiquant à mots couverts ce fameux droit à l’indifférence.

Enfin, c’est une fois de plus avec beaucoup de sensibilité qu’elle parvient à dépeindre comme nul autre le manque cruel que suscite l’éloignement de l’être cher (quel que soit son sexe), le vide douloureux qui vous vrille les entrailles, la plaie béante qui semble ne jamais devoir se refermer lorsque ce dernier est hors de portée de nos sens. En un mot : l’insoutenable cruauté de l’absence.

Océane Brunet
( Mis en ligne le 21/05/2005 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)