L'actualité du livre
Bande dessinéeet Réaliste  

Le Teckel
de Hervé Bourhis
Casterman Professeur Cyclope Arte Editions 2014 /  16 €- 104.8  ffr. / 90 pages
ISBN : 9782203089686
FORMAT : 26,8x19,2 cm

Dis-leur de casser la gueule aux douleurs

Le Teckel fait partie des séries qui ont accompagné le lancement de la revue numérique Professeur Cyclope, aujourd’hui déclinée sur papier en coédition avec Casterman. Il était logique que le récit de Bourhis, développé sur 80 planches, soit parmi les premiers à bénéficier d’un album qui permette enfin de le lire d’une seule traite.
Le lecteur pourra ainsi suivre deux visiteurs médicaux dans leurs pérégrinations commerciales, de client perdu en cliente potentielle. Le laboratoire Duprat a été bien atteint par la révélation de la dangerosité de son antidouleur Marshall, et il doit absolument redresser la barre en promouvant le nouveau Marshall 2. Jérémy Labionda, jeune débutant, se retrouve pour l’occasion en binôme avec l’illustre Guy Farkas, dit le Teckel. La relation entre les deux hommes va s’avérer délicate.

« Tout droit sorti d’un épisode de Derrick », le Teckel triche avec les codes du bon goût. Même les caractères typographiques qui composent son nom sur la couverture évoquent plus les années 1970. Une chose est sûre : il est vieux. Mais aussi sans scrupule, égoïste, alcoolique et méprisant.
Comme l’indique le titre, l’intrigue repose essentiellement sur ce personnage, et Bourhis se donne le temps de l’explorer, quitte à reporter son intrigue principale en seconde partie. Les scènes s’enchaînent qui révèlent les caractéristiques surprenantes, et parfois bigarrées du représentant. Un soir il se détend en se bagarrant sur la plage. Le lendemain matin il se lance dans un discours émouvant contre les douleurs de l’humanité. Le cynisme et l’hypocrisie alternent avec la jouissance de l’instant présent.

Bourhis laisse clairement apercevoir sa sympathie pour le personnage, avec toutes ses contradictions. Pourtant, il dénonce au passage les magouilles des laboratoires des deux côtés de la chaîne. Au plus haut niveau, les campagnes marketing hypocrites et l’implication des institutions officielles permettent de déguiser un médicament dangereux en cadeau pour l’humanité. Et au bas de l’échelle, les visiteurs médicaux ne sont ni plus ni moins que des représentants de commerce, alternant les accroches pour convaincre docteurs et pharmaciens de conclure l’affaire.
Pour mieux parler de ces scandales pharmaceutiques à répétition, le récit évolue dans ses dernières pages, et bascule presque dans une intrigue policière dont on aurait pu se passer. Certaines questions resteront sans réponses à la fin de l’album : mais ce qui compte vraiment, c’est le jeu des relations humaines, les petites lâchetés et le théâtre de tous les jours, ces jolies subtilités qui fonctionneraient tout aussi bien sans les révélations finales.

Une autre des forces du livre est d’avoir su saisir une atmosphère authentique et de la restituer. Bourhis parvient étrangement à se couler dans le prosaïque, à montrer le quotidien dans ce qu’il a de plus banal, et à y faire naître pourtant un sombre exotisme, une passion pour l’Afrique de l’Est et la poésie de Rimbaud.
Plus paradoxal encore, pour une bande dessinée numérique, celle-ci sent drôlement le papier. Celui sur lequel Bourhis dessine, et dont il restitue la matière cartonneuse dans une belle bichromie – avec quelques collages de-ci de-là pour agrémenter la page. Le trait en ressort humide, sensuel, inspiré.
Décidément, le monde des visiteurs médicaux est bien surprenant.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 17/09/2014 )
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