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Bande dessinéeet Réaliste  

Valentina - Biographie d'un personnage
de Guido Crepax
Actes Sud - l'An 2 2015 /  18 €- 117.9  ffr. / 152 pages
ISBN : 978-2-330-04777-1
FORMAT : 17x24 cm

Une femme de caractères

Pour le bédéphile français du vingt-et-unième siècle, Valentina ressemble à un pays lointain, souvent évoqué mais jamais abordé. Car si Crepax est facilement accessible en librairie, c'est essentiellement par ses adaptations littéraires érotiques.

Valentina, pourtant largement évoquée dans toutes les histoires et les théories du medium, avait tout du classique sophistiqué perdu pour le grand public. Pourtant, c'est sur ce personnage que Crepax va concentrer l'essentiel de son travail, plus de soixante-dix histoires étalées de 1965 à 1996. Inventions formelles, mise en page renversant le parcours de l'œil et le rythme de lecture, les planches de Valentina sont des références qu'il nous est enfin permis de lire dans le texte, grâce à cette série d'ouvrages prévus par les éditions Actes Sud-L'an 2 d'après la dernière édition italienne en date.

Le premier volume est thématique et regroupe quatre histoires consacrées à la jeunesse de Valentina, relevant de choix formels très différents de la part de Crepax. Nous lisons ainsi la naissance du personnage, son enfance, la rencontre avec son compagnon et son accouchement. Valentina n'était d'abord qu'un personnage secondaire dans un thriller référencé qui a plutôt mal vieilli, contrairement aux trois autres épisodes. Pour ne pas ouvrir le recueil par cette histoire, l'ordre choisi ici suit non pas la chronologie des publications, mais celle de la biographie reconstituée de Valentina. Mais pour compenser cette recomposition, chacun des trois récits est complété par un bagage de notes signées par la femme et le fils de Crepax : l'occasion de revenir sur les conditions de créations et sur les petites anecdotes du dessinateur, mais aussi d'expliciter une narration qui ne brille pas toujours par sa limpidité, témoin ce «voyage de l'enfant en train de naître» dès la première planche.

Crepax aime les faux-semblants, le rêve et la dissimulation. Les inconscients se succèdent au rythme des rêves et des fantasmes - on devine ainsi l'influence de Rosemary's baby sur L'Enfant de Valentina. Derrière un coin de case un peu rond se cache un imaginaire trouble, vicié, communicatif. En jouant avec les voiles, Crepax n'a pas son pareil pour peindre les corps. Non pas d'un seul tenant, mais en les éparpillant, en rendant compte de notre propre voyeurisme et de l'éclatement de l'image, sensuelle, cachée ou éclatante. Même l'accouchement de Valentina prend une touche érotique.

Autre marque de ce goût pour la falsification, les références tiennent tout à la fois de la grande Histoire de l'Europe, témoignant de la guerre ou du pacte germano-soviétique, et des petites fictions américaines, où le comic strip tient une place de choix. Mandrake, Flash Gordon et le Fantôme du Bengale forment des modèles auxquels Valentina se frotte et se confronte. Elle leur oppose l'image d'une femme dynamique, plus active que Dale Arden ou la princesse Narda. C'est dans l'imagination que se joue le combat du réel.

Valentina devient ainsi la représentante d'un féminisme créatif, d'une bande dessinée moderne où l'aliénation sociale laisse place à une conscience individuelle. Politiquement et artistiquement, Valentina est une bande de son temps. Mais elle n'en reste pas moins aujourd'hui encore une démonstration magistrale des potentialités intellectuelles de la bande dessinée.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 06/06/2015 )
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