L'actualité du livre
Bande dessinéeet Réaliste  

From Hell
de Alan Moore et Eddie Campbell
Delcourt 2000 /  45.04 €- 295.01  ffr. / 576 pages
ISBN : 2-84055-514-X

Jack l'Eventreur dans l'enfer de la BD

Londres,1888. Des prostituées tentent de faire "chanter" la reine Victoria en menaçant de dévoiler l'existence d'un bâtard royal. Autant de témoins que le médecin de la cour, Sir William Gull, est chargé de faire taire à jamais. Perturbé, l’exécutant de la Couronne en rajoute une louche dans l’effet psychose collective recherché et donne naissance au mythe de "Jack l’éventreur" : chaque crime atroce commis se veut ainsi emblématique de la domination des hommes… Et aura pour conséquence sur Gull de le mettre en contact avec des représentations de la civilisation encore plus pourries que les circonvolutions psychotiques de son cerveau.

On ne compte plus les bonnes volontés ayant voulu s’attaquer au mystère des célèbres meurtres survenus dans le quartier crasseux de Whitechapel. Aussi, vouloir rendre compte des avatars de Jack l’éventreur avec un tracé noir et blanc souvent monocorde et peu attrayant n’était pas gagné au départ. Moore et Campbell produisent là un véritable "pavé" (From Hell est principalement constituée de 14 chapitres - à quoi il faut ajouter 66 pages de dossier complémentaire) qui paraît repousser les limites de la BD, hésitant ici entre l’essai non discursif et le roman crayonné.

Ce qui change cette fois, qu’on nous pardonne l’expression, c’est plutôt le point de vue abordé : plutôt que de désigner de manière explicite l'identité du coupable (après tout ce temps, il doit y avoir au moins prescription…), Moore met en exergue la manière dont la société victorienne a vécu les décès des cinq prostituées massacrées sauvagement. Une bonne vielle société anglaise qui, il faut bien le dire, n’est pas beaucoup plus reluisante que ses démons intérieurs : comme l’atteste le dessin rébarbatif et sciemment insipide de Campbell, partout règne le désordre de l’insalubrité, le contraste entre les diverses classes sociales. Sans parler, aux côtés de l’intérêt de la Couronne et du sempiternel complot maçonnique, de l’acharnement d’une certaine presse à fabriquer ce mythe du rôdeur démoniaque qui fera tant augmenter ses tirages et brouillera l’enquête à l’envi…

L’ensemble convainc par la documentation qui éclaire bien la démarche de scénariste de Moore mais rebute en même temps par la noirceur brouillonne dans laquelle Campbell s’est complu. Les puristes du genre y reconnaîtront peut-être, entre brouillard et fumée, les périodiques de l’époque où l’information n’était souvent pas de meilleure qualité que le papier utilisé pour l’imprimer ! Moore et Campbell invitent en tous cas le lecteur à une descente - aussi droite que glauque - dans les méandres d'une folie qui correspond à une visite guidée hors du commun des enfers londoniens. God bless you !

Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 23/04/2001 )
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