L'actualité du livre
Bande dessinéeet Réaliste  

No Limits
de Derib
Le Lombard - Signé 2000 /  12.06 €- 78.99  ffr. / 79 pages
ISBN : 2-8036-1513-4
FORMAT : 22 X 31

BD engagée

Avec No Limits, comme avec Jo réédité également dans la collection "Signé" du Lombard, Derib sort une nouvelle fois de ses chemins bien balisés. Il abandonne pour un temps l’Amérique des Indiens, celle de Buddy Longway et de Yakari, pour se plonger dans notre société, et apporter son éclairage sur tous les phénomènes qu’elle ne manque pas de générer. Issu d’une famille éclatée, malmené par la vie, Yann est un lycéen rebelle qui préfère le roller aux études. Avec son pote Luis, il rejette les conventions sociales et s’affirme dans les risques et la transgression des règles. Il faudra un véritable drame pour que Yann essaie d’oublier sa haine en apprenant le respect de soi et des autres lors d’un stage de snowboard que son grand-père lui offre.

La BD, elle aussi, peut s’engager : Derib le prouve avec cet album dont les droits d’auteur seront intégralement versés à la Fondation pour la Vie, qui aide les jeunes en difficulté. Ajoutons que l’album sera distribué gratuitement dans les écoles en France, en Belgique et en Suisse, et refermons bien vite la parenthèse humanitaire. Car s’il faut indéniablement saluer l’initiative de Derib, il faut aussi se concentrer sur l’album lui-même, son intérêt, sa qualité artistique. Sans contestation possible, le scénario est bien balisé, et le dessin réaliste à défaut d’être moderne, fidèle en cela au traditionnel coup de pinceau de Derib.

Mais à le lire et le relire, on ne peut s’empêcher de trouver dans l’album d’agaçants relents de moralisme. C’était déjà le cas dans Jo : Derib fait peur pour dire: "Attention les jeunes! Mieux vaut prévenir que guérir : regardez ce qui pourrait vous arriver…" Ici, c’est Luis qui finit l’album dans le coma. Avant, c’est Jo, jeune et jolie fille, qui mourait du sida.

Tout cela rend indéniablement les histoires de Derib émouvantes, mais l’art de la menace n’est peut-être pas la solution la plus efficace. Finalement, l’histoire de No Limits est celle d’un garçon qui va du Mal vers le Bien, mais sans que ces notions soient réellement interrogées : ici, le Bien est ce que la société commande de faire. Yann s’écarte du droit chemin, et refuse d’abord toute aide extérieure. Puis, il se repent, reconnaît ses erreurs et accepte les valeurs sociales. C’est l’histoire de l’intégration d’un petit rebelle à la société qui l’a produit, c’est la victoire du réel sur la révolte.

On a l’impression que les heurts de son existence ne proviennent que de Yann, qu’il a choisi d’avoir la haine comme il choisira de l’abandonner. A aucun moment, la société n’est mise en cause: son influence sur les individus est niée puisqu’elle est occultée. Au contraire, les institutions, dont Bourdieu a montré qu’elles étaient les gardiennes de l’immobilisme social, sont presque encensées -l’école notamment : elles finissent par absorber, avaler, digérer le héros. La société décrite dans No Limits accueille ceux qui finissent par s’y plier, elle élimine les autres, impitoyablement. Nous n’irons pas jusqu’à dire que No Limits est un album réactionnaire. Mais il peut être qualifié de conservateur, n’exprimant aucune ambition de changement social. Un album efficace, espérons-le : mais un album qui cherche au mieux à soigner les effets des maux sociaux, en aucun cas à dénoncer leurs causes.

Thomas Bronnec
( Mis en ligne le 01/02/2001 )
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