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Sergent Rock (vol. 1) - Anthologie
de Bob Kanigher et Joe Kubert
Soleil - Culture Comics 2004 /  28.50 €- 186.68  ffr. / 136 pages
ISBN : 2-84565-725-0
FORMAT : 25 x 34 cm

Héros de guerre

Encore une heureuse initiative de réédition, en provenance cette fois des éditions Soleil, qui proposent, dans un luxueux volume en noir et blanc, une anthologie des aventures du Sergent Rock et de la compagnie Easy.

Rappelons l’essentiel. Le Sergent Rock, «The Rock of Easy Company», est lancé en 1959 par le scénariste Robert Kanigher et le dessinateur Joe Kubert (après avoir été conçu graphiquement par Ross Andru et Mike Esposito). C’est un ancien boxeur, qui doit son surnom au fait qu’il reste debout quelle que soit la tournure que prenne le combat. En 1944-45, Rock est devenu sergent dans l’armée américaine, et se bat en France à la tête de sa compagnie, facétieusement nommée Easy, dans la mesure où, comme le répètent régulièrement ses hommes, «rien n’est jamais facile chez Easy».

La plupart des histoires sont ainsi racontées par Rock lui-même, sauf celles où il est vraiment trop manifeste que cela nuirait à sa réputation de héros modeste… Car Rock fait tout, dans son unité dont il est le véritable ciment et que les nazis considèrent, nous dit-on, comme la plus dangereuse de toute l’infanterie américaine. Chaque histoire est ainsi centrée sur un personnage particulier de la compagnie – qui parfois ne survit pas à la fin de la narration… –, que l’on appréhende à travers ses rapports avec Rock. Il y a le grand costaud Bulldozer, extrêmement fort et courageux, mais qui n’a pas les qualités de chef d’un Rock. Il y a le bleu «Glaçon», tétanisé à l’approche du combat, mais qui, au contact de Rock et de la compagnie Easy, va devenir un vrai soldat. Il y a le vétéran, qui n’a plus l’âge de se battre dans l’infanterie et que Rock veut débarquer, mais qui finira par sauver héroïquement la compagnie. Il y a l’excellent soldat, courageux et doué, obéissant aussi, mais qui ne combat que pour lui-même et à qui Rock apprendra l’esprit de corps, etc.

Le dessin est à l’avenant, qui renvoie à la grande tradition des comics américains des années 1960-1970. Dans ces histoires d’hommes, les visages des héros sont taillés à la serpe et les corps, musclés. La caricature ne serait pas loin, si Joe Kubert n’avait un véritable talent de dessinateur, qui transcende ces lois du genre par des positions des corps très travaillées et un bel usage des ombres, dans cette bande dessinée toute en noir et blanc.

On a un peu oublié aujourd’hui ce genre de la bande dessinée de guerre, dont les vertus héroïques nous semblent appartenir à un passé très éloigné. Il semble que l’on n’ait plus besoin de modèles aussi disciplinés, aussi vertueux, aussi patriotiques et héroïques que le sergent Rock : en tous cas, personne n’en propose plus… Conséquence aussi, à coup sûr, des multiples changements – générationnels et politiques – qui ont affecté le monde de la bande dessinée dans les années 1970. Reste que cette réédition nous permet de nous replonger avec intérêt, et parfois délices, dans cet univers mental peut-être suranné.

Surtout, relire aujourd’hui les aventures du «Rock de la compagnie Easy» permet de prendre la mesure du contexte culturel dans lequel furent créés, à la même époque, des héros tels que le Ernie Pike de Hector Oesterheld et Hugo Pratt. On mesure en particulier le chemin parcouru par Pratt, qui est parti de modèles tel que le Sergent Rock de Joe Kubert pour, à force de décentrement et d’épure, parvenir à celui de Corto Maltese. La distance est fascinante à observer, pour celui que l’histoire de la bande dessinée intéresse. La collection «Culture Comics» des éditions Soleil, qui accueille aujourd’hui ce premier volume de Sergent Rock, porte très bien son nom.

Sylvain Venayre
( Mis en ligne le 03/04/2004 )
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