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Bande dessinéeet Fantastique  

Fragile (tome 2) - Quand on n'a que la mort
de Stefano Raffaele
Les Humanoïdes associés 2004 /  12.35 €- 80.89  ffr. / 56 pages
ISBN : 2 7316 6279 4
FORMAT : 24 x 32 cm

L’amour en décomposition

Alan et Lynn s’aiment. Leur problème est qu’ils sont l’un comme l’autre des zombies, odeur fétide et décomposition avancée comprises. Du reste, la plupart des humains sont dans le même état, à la suite d’un virus aussi mystérieux qu’efficace et qui a transformé l’humanité en zombies affamés. Subsistent quelques vivants, dont l’existence se résume à fuir pour éviter de servir d’en-cas…

L’histoire de la série Fragile n’a rien de neuf. Du cinéma gore – dans la foulée de Georges A. Romero (La Trilogie des zombies) et de ses apôtres – au jeu vidéo (Resident evil et ses avatars), une planète peuplée de morts-vivants est devenue un décor prometteur. En l’occurrence, et comme dans les illustres références citées, quelques populations épargnées demeurent, survivant avec difficulté et se regroupant pour lutter et essayer de trouver une issue à une situation terrifiante. C’est dans ce maigre cheptel que l’on puise traditionnellement des héros suffisamment désespérés pour courir un monde de charognes à la recherche d’une solution, se colletant par endroit avec leurs ex-congénères. Cette fois, l’originalité vient des héros, authentiques zombies, mais chez qui l’amour préserve un semblant d’humanité. Du reste, et contrairement aux canons du genre, les zombies conservent la parole et certains disposent même d’une intelligence assez développée pour tenter de remédier à leur triste condition, ou bien éprouver de la douleur.

Mais revenons à nos tourtereaux d’outre-tombe : fuyant à travers un monde dévasté, ils tentent de rallier Albertville où un hypothétique remède miracle serait caché. Pourchassés par d’autres zombies tueurs de cadavres, les désinfecteurs, ils sont sauvés par une survivante, Grace, laquelle semble bizarrement immunisée contre le virus. Ensemble, ils se rendent donc à Albertville pour y découvrir la vérité sur l’origine du drame dans un laboratoire secret tenu par des zombies. Mais ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à ce site : le général Dolan, à l’origine de la catastrophe, cherche également à mettre la main sur le mystérieux laboratoire. A tout prix…

Le trait de Stefano Raffaele n’est pas sans rappeler l’atmosphère des bandes dessinées de Mike Mignola, auteur de la série Hellboy, jusque dans le découpage des scènes, ainsi que dans les dialogues. Le travail du coloriste, Charlie Kirchoff, est également remarquable et semble confirmer cette inspiration : il n’y a pas loin de l’univers d’Hellboy à celui d’Alan et Lynn. En dépit de ces qualités, l’ensemble demeure toutefois grand-guignolesque et laisse une impression plus confuse que terrifiée. Le scénario, au sein duquel chaque personnage évolue avec aisance en dépit de l’étrangeté de la situation, manque parfois de cohésion et, placé entre des zombies traditionnels (mangeurs de chair humaine, comme on les aime) et d’autres aux allures de gentlemen, le lecteur a du mal à saisir la situation. Passant de l’angoisse (la ruée des morts-vivants) au gag (les mésaventures de deux désinfecteurs lorgnant plutôt du côté de Laurel et Hardy), on hésite à s’identifier aux héros (après tout, ils sont déjà morts, et dans un état guère reluisant). Bref, on n’y croit pas ! Le genre horrifique est difficile en bande dessinée, tant la frontière entre l’angoisse et le kitsch est ténue. Quelques trouvailles scénaristiques et un indéniable talent graphique ne parviennent donc pas à hisser cette série au niveau d’un bon récit fantastique. Laissons Alan et Lynn pourrir tranquillement.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 07/03/2004 )
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