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Bande dessinéeet Fantastique  

La Nef des fous (tome 6) - Les Chemins énigmatiques
de Turf
Delcourt - Terres de légendes 2007 /  12.90 €- 84.5  ffr. / 48 pages
ISBN : 978-2-7560-0187-6
FORMAT : 23x32 cm

Le voyage immobile

Cela fait maintenant quinze ans que Turf nous raconte l’histoire de La Nef des fous, en 300 pages et six albums, pour une narration étalée sur quelques jours. D’abord amusant, puis intrigant, cet univers mystérieux commence maintenant à se dévoiler quelque peu. Et on peut apprécier l’épisode en attendant la pirouette finale qui nous donnera les clefs de l’énigme.

Pour le moment, la ribambelle des personnages n’est pas encore très avancée. Tous à deux doigts de comprendre le fonctionnement de ce monde artificiel qu’est la Nef, mais tous détournés par des sentiers compliqués. Clément XII, le petit roy, s’engage dans un escalier clandestin qui le conduit dans les profondeurs du château, tandis que ses gardes suivent le chemin inverse en montant dans les étages principaux. Mais c’est Ambroise qui a eu affaire au véritable manipulateur, sans en sortir tout à fait indemne. Quant à Arthur et Chlorente, perdus à l’extérieur de la Nef, ils suivent un robot incapable de les guider correctement.
Turf passe de l’un à l’autre, sans faire avancer l’action clairement pour aucun. Mais à petites touches, il nous laisse entendre que la fin est proche, et que le véritable maître des lieux ne saurait tarder à se dévoiler.
C’est l’occasion pour le dessinateur de jouer avec son propre univers de fiction. Si les « Schloumpfs » des premiers épisodes ont disparu du décor, ce tome s’ouvre sur un pastiche d’illustré des années 1940 signé Jean-Luc Loyer, et les clins d’œil se poursuivent pendant l’album : psychiatre au nom de « Dr Turf » ou logos de l’éditeur sur les cagoules. Découvrant une nursery secrète, le sergent s’écrit « Des pages, sans doute ! Le palais en a toujours besoin. » Mise en abyme ironique, La Nef des fous est aussi le lieu d’une tendre fantaisie, d’une invention régulière comme celle des éphémères, des personnages transparents qui constituent la mémoire des lieux et la restituent aux sphères-miroirs qui les piègent. La perception, la vision, la prison : Turf joue ainsi à mettre en place des questionnements subtils, variations sur le thème du monde imaginaire. Les personnages sont-ils libres de choisir leur destin, ou sont-ils tous à la merci de ces robots stupides qui parsèment le monde d’Eauxfolles ? Aux confins de la réalité et de la fiction, il est délicat de savoir qui mène la barque, et s’il existe une barrière nette entre l’auteur et sa narration.

Les choix graphiques vont de pair avec cette identité. Mises en pages en escalier, alternance de scènes en gros plans et décors pleine page, mais aussi de pastels rêveurs et d’une réalité fragile, le lecteur ne s’ennuie pas dans cette variation régulière, où chaque parti pris semble en cacher un autre. Avec ses machines rouillées et ses uniformes vieillots, ce petit monde ressemble à une heroic fantasy du dix-neuvième siècle.

Le nouveau visiteur sera peut-être un peu perdu en prenant en cours de route cette histoire qui n’avance pas vraiment, ce monde qui semble obéir à des règles propres ; mais l’habitué de la Nef ne sera pas déçu du voyage, en attendant le dernier tome, au titre prometteur : « Terminus ».

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 12/03/2007 )
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