L'actualité du livre
Bande dessinéeet Science-fiction  

La Frontière invisible - Tome 1
de François Schuiten et Benoît Peeters
Casterman 2002 /  12,5 €- 81.88  ffr. / 62 pages
ISBN : 2-203-34317-6

Cartographie et politique

Au bout d’un parcours éprouvant à travers le désert, Roland de Cremer, jeune étudiant encore un peu novice, arrive au centre de cartographie de la Sodrovno-Voldachie. Il vient d’être recruté par son pays pour devenir fonctionnaire dans cette vénérable institution, quelque peu laissée à l’abandon. Il est pris en charge par «Monsieur Paul», un pilier du centre, qui l’initie à la lecture des cartes : pour lui, qui représente la vieille école, une carte n’est qu’une sélection intelligente des milliers d’informations distillées par le réel. Cela pour se conformer à sa vocation primitive : orienter. Une conception battue en brèche par l’homme fort de la Sodrovnie, le maréchal Radisic, qui préfère quant à lui considérer la cartographie «comme une branche de l’art militaire». Bien que soutenue par les dernières technologies, elle se trouve ainsi limitée à la compilation la plus exhaustive possible des observations décelées sur le terrain. A charge pour elle de lui fournir ensuite des arguments pour la conquête des territoires alentour et repousser toujours plus loin les frontières de son Etat. C’est pourquoi le maréchal décide de rajeunir et renforcer les effectifs d’un centre devenu indispensable pour ses projets politiques.

On frémit en entendant parler de «Grande Sodrovnie» tant ce type d’expression rappelle les pires impérialismes de l’Histoire. C’est que le propos de François Schuiten et de son vieil acolyte Benoît Peeters est clair : pointer les dangers de l’instrumentalisation des sciences humaines, histoire et géographie en tête, à des fins politiques. Or, comme l’affirme Monsieur Paul, « quand les politiciens et les militaires s’intéressent à la cartographie, ce n’est jamais bon signe ». Si l’on ajoute à cela l’amour, tout risque de se compliquer. Roland s’est en effet entiché d’une des prostituées du centre, et pas n’importe laquelle. Shkodra est la seule qui refuse de se déshabiller – sauf pour lui évidemment : c’est qu’elle cache sur ses hanches et ses fesses d’étranges lignes, qui lui rappellent une autre carte, observée dans les rangées poussiéreuses des bibliothèques du centre. La jeune femme aurait-elle partie liée avec une quelconque «frontière invisible» ?

Mêlant sentiments et politique, sensualité et philosophie, cette nouvelle pierre apportée à l’édifice des Cités obscures, un projet amorcé il y a une vingtaine d’années, enthousiasme le lecteur. Mais elle le frustre aussi un peu. On est séduit, bien sûr, par l’intelligence du propos, par un graphisme réaliste fait de perspectives et de détails précieux, par les teintes désertiques et sépia qui dépeignent une atmosphère inspirée des années 1930 et de Star Wars. Reste que ce premier tome n’est que le chapitre d’exposition d’une longue histoire qui aurait gagné à être publiée en un seul volume : ici, tout se met en place, mais rien ne se passe vraiment. Et, sans une action qu’on pressent pourtant à chaque page, on reste un peu sur sa faim. Une sensation qui devrait être comblée dès la parution d'un second tome.

Thomas Bronnec
( Mis en ligne le 28/05/2002 )
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