L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Vive la marée !
de Pascal Rabaté et David Prudhomme
Futuropolis 2015 /  20 €- 131  ffr. / 120 pages
ISBN : 978-2-7548-1214-6
FORMAT : 21,4x29 cm

Plage quotidienne

Dans les grands médias, la France populaire est souvent synonyme d'un espace clos sur lui-même, tourné vers le Front national, concentré exclusivement sur le chômage et le pouvoir d'achat. Heureusement, Pascal Rabaté et David Prudhomme viennent parfois donner un autre sens à la formule, bien loin de toute forme de condescendance.

Vive la marée, c'est une journée sur une plage comme il y en a mille. Les auteurs passent d'un groupe à un autre, donnant au lecteur l'impression de flâner sans cesse en observant la foule. Couples et familles se fréquentent donc en toute franchise, sur la route d'abord, puis à la plage, dans la station balnéaire enfin, et à la plage à nouveau avant l'heure du départ. Les habitués des côtes reconnaitront leurs souvenirs estivaux : le marché en plein air où un camelot vend ses poêles, les naturistes, le « spa à poissons » ou le phare dans le décor.
Parfois on retrouve un visage entraperçu une dizaine de pages plus tôt, et on en apprend plus sur ses activités. D'autres fois c'est un personnage qui traverse le livre et ne reviendra plus.
Il y a sans doute un peu de toutes les classes sociales. Mais à l'exception d'un couple très convenable qui reste habillé sur le bord de la route, les uns et les autres se montrent dans toute leur faiblesse, toute leur humanité. « Les vraies gens ». Expressions populaires, jeux de mots, une ironie permanente que les personnages eux-mêmes partagent : Rabaté et Prudhomme nous donnent l'image d'une société qui s'observe, se frotte, et s'amuse. Déjà dans La Marie en plastique, ils parvenaient à donner forme à ce miroir libérateur. Séparément, dans La Traversée du Louvre ou dans Fenêtres sur rue, ils perfectionnaient la même démarche. Réunis à nouveau pour notre plus grand plaisir, ils multiplient les idées et se montrent meilleurs sociologues que jamais.

Clin d'œil ironique à ce travail « à deux têtes et deux mains », le récit fourmille de duos. Il y a ces peintres qui travaillent de concert sur leur grille, comme de juste, mais aussi des caravaniers symétriques ou des sosies en puissance. Quand un gros torse nu en croise un autre, que se passe-t-il ?

On pense, bien sûr, aux Vacances de Monsieur Hulot, basé sur le même principe. Mais c'est surtout l'œil de Tati qui est à l'œuvre, et Rabaté et Prudhomme cherchent à parfaire l'éducation à l'image que nous avons commencé il y a quelques décennies dans Mon Oncle ou Playtime. Un enfant se cache au milieu du décor, comme dans une vieille image d'Épinal, et il faut le retrouver. Les vignettes de Vive la marée apprennent à voir, à ne pas suivre bêtement l'action mais à chercher, partout, les petits miracles du quotidien. Il faut détourner le regard, opter pour une plongée parfaite pour suivre le trajet d'un promeneur, et s'amuser des spectateurs du beach-volley plus que du match lui-même.

Car il y a toujours des observateurs. Promeneurs sarcastiques, juré de concours de château de sable, enfants immobiles. Le plus jeune tend à bout de bras sa locomotive, pour la superposer avec l'image du petit train de la ville. Rabaté, Prudhomme, nous-mêmes, faisons partie de ces innombrables passants qui voyons et sommes vus, Big Brothers en même temps que sujets, figurants et acteurs d'une infinité de récits partagés.
Celui-ci fait incontestablement partie des plus réjouissants.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 29/09/2015 )
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