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Bande dessinéeet Policier - Thriller  

Fog (tome 5) - La Mémoire volée
de Cyril Bonin et Roger Seiter
Casterman - Ligne rouge 2003 /  9.45 €- 61.9  ffr. / 56 pages
ISBN : 2-203-39205-3
FORMAT : 23 x 30 cm

Volutes

Fog : à la fois le brouillard le plus épais et le symbole le plus net de Londres à l’époque victorienne. La brume enveloppe cet album, le cinquième de la série créée par Bonin et Seiter. Les couleurs sont un peu passées, à l’exception notable du rouge sanglant des uniformes des soldats de Sa Majesté. Il y a bien un peu de bleu, un peu de vert, un peu de rouge, un peu de mauve ; mais l’ensemble baigne dans l’ocre et le bistre, celui des vieilles photographies et celui du brouillard sale. S’y ajoutent de multiples volutes de fumée : celle des cigares ou celle des cheminées de la ville de Londres, en cet âge du charbon qui vit le smoke se mêler au fog pour donner le moderne smog. De belles couleurs sombres et de beaux traits compliqués, donc, pour une histoire à l’avenant.

Nous sommes au printemps 1876. L’intrépide Mary Launceston est rentrée des Etats-Unis. Elle va retrouver l’inspecteur de police Molton et son ami Ruppert Graves, journaliste au Times à l’occasion d’une affaire… fumeuse. On a retrouvé, au fond d’un des endroits les plus sinistres de l’East End, une femme nommée Sarah, jeune aristocrate totalement amnésique, ressemblant comme deux gouttes d’eau à une amie d’enfance de Mary. Mais rien n’est simple, et cette amie d’enfance semble en parfaite santé, puisqu’elle est mariée depuis un mois à un noble Ecossais, lord Douglas Wishaw.

Les rapports entre Anglais et Ecossais sont au centre de cette histoire, qui s’ouvre avec une référence à la victoire anglaise de Culloden (1746) et multiplie les scènes à Inverness, chef-lieu des Highlands et haut lieu de la mythologie écossaise : la bataille de Culloden eut lieu non loin de là ; et le « Loch Ness » est tout proche… Fréquemment souligné, l’antagonisme des deux peuples est même, à plusieurs reprises, symbolisé par l’opposition du brandy et du whisky.

L’intrigue est remarquablement bien menée et, à l’issue de ce premier tome, les questions se pressent en foule : de quoi sont morts, au bord du lac d’Inverness, « le meilleur photographe de Londres » et son employeur ? Pourquoi le cabaretier Caleb Wraggle et sa mère ont-il été enlevés par trois Ecossais et conduits dans un château au bord du lac d’Inverness ? Pourquoi un officier de l’armée de Sa Majesté a-t-il été enlevé par des Ecossais, à l’Ouest d’Inverness, après que son détachement y a été massacré ? Que cache l’étrange lord Douglas Wishaw, lecteur fou de Jules Verne (Cinq semaines en ballon date de 1863, Vingt mille lieues sous les mers de 1869 : ils les a visiblement lus), qui se trouve au centre de nombreux cas d’amnésie semblables à celui de Sarah ? Et surtout : qui est Sarah ?

Que ce soit au cœur des Highlands ou dans les différents quartiers de la ville de Londres (les auteurs nous emmènent de l’East End au West End en passant par le monde des quais), le dessin est merveilleusement inspiré. Tantôt des vues en contre-plongée nous donnent le sentiment de voir des êtres perdus dans un monde trop grand pour eux et sur lequel ils n’ont aucune prise : la vue de l’asile d’aliénés de Bedlam rend ainsi parfaitement le sentiment d'impuissance que doivent ressentir ceux qui y sont internés. Tantôt des vues en plongée semblent faire de ces mêmes personnages les jouets d’un destin implacable et railleur. Et quand les scènes sont représentées à hauteur d’homme, alors les volutes se font insistantes : ce sont celles des pierres qui bordent la route d’Inverness, celles du lierre qui enserre les cordes de la balançoire de Letty, celles surtout qui forment la chevelure même de Mary, formidable héroïne qui semble porter sur sa jolie tête le merveilleux brouillard qui enveloppe toute cette histoire.

Sylvain Venayre
( Mis en ligne le 12/12/2003 )
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