L'actualité du livre
Bande dessinéeet Aventure  

Corto Maltese - Sous le soleil de minuit
de Juan Diaz Canales et Rùben Pellejero
Casterman 2015 /  16 €- 104.8  ffr. / 88 pages
ISBN : 978-2-203-09211-2
FORMAT : 22,5x30,3 cm

Corto un peu plus près

C'est peut-être la plus attendue de toutes les sorties de la rentrée en bande dessinée : le grand retour de Corto Maltese, vingt ans après la mort de son créateur.
Pour reprendre la destinée du marin maltais partiellement développé en France par un dessinateur italien formé en Argentine, il était élégant de désigner deux espagnols, l'un et l'autre de renommée internationale. Il est par contre regrettable que Casterman ait fait le choix d'industrialiser la série plus que d'honorer l'œuvre. Dès l'habillage de l'album, il est clair que Corto< se standardise : pagination légère, couverture cartonnée, numérotation sur le dos... Le modèle est sans doute la reprise de Blake et Mortimer, nous éloignant un peu plus de la remise en cause permanente de son travail par Hugo Pratt, qui construisit ses livres tous différents et à rebours des systèmes en place.

Díaz Canales et Pellejero ont dû également opter pour le classicisme : en route donc pour un récit d'aventures en 1915, traité dans le Pratt de ses meilleurs albums, « un mélange de différentes époques » selon le dessinateur, du moins sans les raideurs, les abstractions et les collages des premières et dernières années. Empressons-nous d'ajouter qu'en la matière, Pellejero est époustouflant. Il faut dire que le dessinateur marche depuis longtemps sur les traces du maître, et qu'une série comme Dieter Lumpen, par exemple, devait déjà beaucoup au marin maltais. Il n'empêche que l'exercice de style est extrêmement réussi. La bataille entre Corto et Raspoutine, ou la scène de tempête, pour ne citer qu'elles, semblent tirées des planches de Pratt. Même ses couleurs se sont adoucies pour mieux rappeler les aquarelles du maître. Seules quelques scènes isolées, deux lectures de lettre et un récit dans le récit, laissent percer un rythme plus personnel et l'amorce d'une réappropriation.

Le défi est aussi grand pour Díaz Canales, qui emmène pour la première fois Corto en Amérique du Nord, un territoire que lui-même explore régulièrement dans Blacksad. Fidèle à la tradition, il parvient à intégrer dans son récit d'aventures des figures historiques comme Waka Yamada ou Matthew Hanson, mais aussi des personnages tirés directement des récits de Corto. On évoquera donc, entre les cases, Raspoutine et Jack London, mais aussi, de façon plus lointaine, Les Celtiques et surtout La Ballade de la mer salée. Díaz Canales prend au passage le risque de contredire la chronologie officielle, ou de tricher légèrement avec le canon, tel qu'on pouvait le lire dans Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes. Mais ce jeu de simulacre n'est qu'un plaisir de plus dans le labyrinthe de références. Nous baignons, à nouveau, dans un univers mouvant où nous ne distinguons plus bien ce qui relève de l'histoire ou de la fiction, de la légende première ou de l'invention au carré.
C'est le grand prodige de cet album : renouveler l'émotion des aventures originelles dans un récit de facture moderne, et parvenir à redonner vie à un vieil ami perdu de vue depuis vingt ans.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 26/09/2015 )
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