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L'homme qui tua Lucky Luke
de Matthieu Bonhomme
Dargaud 2016 /  14.99 €- 98.18  ffr. / 64 pages
ISBN : 9782884713634
FORMAT : 24x32 cm

Lucky Luke contre Lucky Luke

Avec le succès critique du Spirou d'Émile Bravo, il y a presque dix ans, est apparue pour les éditeurs l'opportunité de reprendre autrement une série de bande dessinée : non pas en la perpétuant avec plus ou moins de modernité, mais en la frottant à des interprétations différentes, en lui rendant hommage autant qu'en lui redonnant vie. Désormais bien implantée dans le paysage, cette nouvelle réappropriation est particulièrement populaire cette année, où nous la voyons donner lieu à un Chlorophylle signé Hausman et Cornette, à des Mickey griffés Trondheim, Keramidas et Cosey, et enfin à ces Lucky Luke de Bonhomme et Bouzard.
Le hic, c'est que tous ces personnages ne se sont pas incarnés dans différentes visions avec autant de force que Spirou. Si Émile Bravo, dans son Journal d'un Ingénu, renouait avec l'histoire du groom et notamment avec l'époque Jijé, ni Cosey, ni Hausman, ni ici Bonhomme ne peuvent s'alimenter à une mémoire esthétique commune. D'où parfois un sentiment de décalage à la lecture.

L'Homme qui tua Lucky Luke, en soi, est magnifique. Les personnages les plus expressifs se marient parfaitement au trait réaliste mais tranché du dessinateur, qui revisite croque-morts et Old Timer avec justesse. Bonhomme utilise la bichromie et les lignes de mouvement pour superposer à la précision de son trait une efficacité que n'aurait pas reniée Morris. Mais, ramené à une anatomie naturelle, Lucky Luke pour sa part donne l'impression de ne pas être lui-même, comme si son sosie l'avait enfin remplacé. Son côté bougon, nerveux, dû à l'absence de tabac dans cet épisode, n'est pas pour arranger à la reconnaissance : au lieu du flegmatique héros qui se contente de tirer les rênes du récit de temps à autre, nous voilà avec un pantin colérique qui tombe dans toutes les ornières, avant de rencontrer la mort. Un justicier de western, certes, mais sans doute pas le nôtre.

Le cowboy plus rapide que son ombre a pourtant bien une longue histoire derrière lui, y compris des expériences graphiques qui pourraient se prolonger de nos jours : la version cartoon des premiers temps, comme les couleurs directes des illustrations pleine page, offriraient bien des perspectives. Le réalisme de Bonhomme rebutera peut-être certains nostalgiques, mais il est possible qu'il soit en train de poser les bases d'une nouvelle version du mythe.

Pour écrire le scénario, l'auteur semble avoir pioché tout autant dans les films de Sergio Leone ou de John Ford. La cause en est peut-être qu'il a visiblement pris pour référence la série des années 1980, lorsque Lucky Luke retrouvait Laura Legs et arrêtait de fumer : cette période, peut-être la meilleure de Morris, n'est pas celle qu'on évoque le plus souvent pour la qualité des scénarios. Cette référence cinématographique fait du bien, après plusieurs albums où Achdé et ses scénaristes perdaient progressivement le lien avec les inspirations originelles de Morris et s'accrochaient vainement aux personnages secondaires. Nourri de cinéma, l'album coule rapidement, sans grande surprise, mais avec efficacité. Lucky Luke devient un gunfighter à la Eastwood, une icône individuelle bien loin des combats collectifs de Goscinny. Là aussi, le western y gagne ce que la tradition y perd, et on se laisse embarquer dans une aventure bien menée.

Avec Undertaker et Stern, après Texas Cowboys du même Bonhomme, en même temps que L'odeur des garçons affamés de Peeters et Loo Hui Phang, il semble que le western réaliste reprenne des galons en bande dessinée ces temps-ci. En restant dans cette continuité, ce ne serait pas totalement surprenant qu'un nouveau Lucky Luke, aussi parodique que l'ancien, puisse trouver dans cette veine de quoi se mettre sous la dent.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 09/04/2016 )
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