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Bande dessinéeet Revues, essais & documents  

Naissances de la Bande Dessinée - De William Hogarth à Winsor McCay
de Thierry Smolderen
Les Impressions nouvelles 2009 /  29.50 €- 193.23  ffr. / 142 pages
ISBN : 978-2-87449-082-8
FORMAT : 24x33 cm

Cours magistral

Les théoriciens du dimanche s’amusent à voir déjà de la bande dessinée dans quelques peintures rupestres ou dans des tapisseries moyenâgeuses. Les professeurs plus sérieux s’en tiennent à une date (aux alentours de 1835) ou un nom (Töpffer, Outcault…) pour fixer définitivement l’origine de la bande dessinée. Avec ce livre qui tient autant du compte-rendu historique, de l’essai théorique que du Beau Livre, Thierry Smolderen – scénariste et théoricien érudit – se place entre ces mouvances et propose de nous conter l’histoire passionnante, revue et corrigée, d’une certaine bande dessinée.
Le sous-titre de ce livre ainsi que le pluriel de son titre montrent avant toute chose qu’il n’y a naturellement pas un Big Bang d’où tout émergea mais bel et bien quantité de pistes et de chemins que le médium a du parcourir avant de se trouver vraiment. Thierry Smolderen choisit de suivre quelques-unes de ces voies et c’est dans un passionnant voyage qu’il nous emmène.

Tout commence, ou plutôt pourrait commencer, avec les gravures de William Hogarth qui, pour Smolderen, combinent de façon inédite et moderne le traditionnel récit en images (ces fables en plusieurs tableaux qui suivent un discours souvent moralisant), et la littérature humoristique. Smolderen pointe dans ces images les points d’accords entre Hogarth et quelques principes à partir desquels s’élaborera la bande dessinée : une certaine stylisation, une schématisation, et également une esthétique du grouillement. L’auteur continue en définissant l’idée de « polylinguisme graphique » de Hogarth qu’aurait récupéré la bande dessinée et empêché celle-ci de ne devenir qu’image d’Epinal. « Le polygraphisme humoristique d’Hogarth repose en grande partie sur cet improbable dialogue entre les postures idéalisées ou affectées (…) et les représentations peu naturelles et ridicules qui caractérisent l’action suspendue ». On le voit, aller chercher le peintre anglais pour sa démonstration revient à prendre une position théorique aussi inédite que pertinente. L’analyse de Smolderen va même au-delà de son sujet puisque tout ce premier chapitre revient à une véritable analyse esthétique, passionnante et érudite, de l’œuvre d’Hogarth.

La suite du livre convoque l’importance du graffiti, du « petit bonhomme », au pictogramme, là où le dessin devient anti-académique pour s’attacher à une intention plus qu’au réalisme d’une représentation. Avec Töpffer, la séquence se veut ironique. La décomposition du mouvement d’une action est en effet ici source de moquerie et de raillerie : « Töpffer veut surtout montrer à quel degré de bêtise et d’automatisme la civilisation industrielle menace de réduire la pensée de l’homme moderne ». C’est là l’une des idées marquantes du livre, à contrario des théories sur l’art de Töpffer : son travail viendrait d’abord parodier la pantomime tout en dénonçant l’industrialisation galopante, et les ravages du progrès.

La photographie fait ensuite son entrée et c’est une révolution : « La photographie instantanée offre aux dessinateurs humoristiques une source quasi illimitée de nouveaux documents susceptibles d’être stylisés, déformés empiriquement et intuitivement ». Smolderen s’attarde sur A.B. Frost. Le dessinateur américain réalise des « parodies chronophotographiques » qui marquent véritablement l’avènement de l’art séquentiel ; émerge l’idée fondamentale qu’entre deux images captées se situent un instant contenant de l’information.

Plus loin, Smolderen relève d’autres marqueurs qui modèleront un peu plus précisément ce qui va devenir la bande dessinée traditionnelle. L’intrusion du « mignon » par exemple, ou plus capital encore, l’arrivée de la bulle dans les pages.

Cette réflexion se termine par un retour sur Winsor McCay. Avec le petit Sammy et Nemo, on pointe ces moments de coupe, là où – entre deux cases – tout bascule. Pour peaufiner sa thèse, l’auteur fait le lien avec Hogarth et Töpffer : « Chez McCay comme chez eux, il s’agit d’opposer à la rhétorique stérile des automatismes et des formules figées, l’arabesque d’une pensée vivante qui ne se répète jamais. » Smolderen décrit ainsi l’évolution de la bande dessinée, et plus particulièrement de la bande dessinée d’humour, comme un « combat » contre les académismes et autres modèles stéréotypés issus de l’automatisation. Dans tout le livre, l’accent est mis sur ces artistes qui ont voulu échapper aux recettes toutes faites, plus qu’une évolution naturelle des formes et des moyens, la bande dessinée, comme tous les autres arts, a acquis ses lettres de noblesse grâce à des individualités fortes, des auteurs inspirés.

Avec son iconographie magnifique, ses documents précieux et son flot d’idées qui renouvellent la pensée autour de la bande dessinée (Les Impressions Nouvelles restent d’ailleurs les seules éditions à publier régulièrement des essais sur le neuvième art), ce livre est d’ores et déjà un indispensable.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 13/04/2010 )
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