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Bande dessinéeet Adaptation  

Le Rapport de Brodeck (tome 1) - L’autre
de Manu Larcenet
Dargaud 2015 /  22.50 €- 147.38  ffr. / 160 pages
ISBN : 9782205073850
FORMAT : 30x24,5 cm

D'après le roman de Philippe Claudel

Le rapport de l’angoisse

Un soir, Brodeck arrive à l’auberge du village. Tout le monde est là. Il
s’est passé quelque chose, même si nous ne savons pas tout de suite quoi, et
c’est lui, Brodeck, qu’on va charger de raconter les faits. Mais dans son
rapport, le narrateur dépasse rapidement la tâche qui lui est confiée. Il
dénoue patiemment les fils de son histoire, dévoilant une par une les
horreurs du village jusqu’à mettre en lumière la face la plus sombre de
l’humanité, pendant la guerre et au-delà. C’est un récit sur la haine et sur
la douleur, mais surtout une réflexion sur l’oubli, la résilience, la parole
et l’écriture.

Pour adapter en bande dessinée Le Rapport de Brodeck, Goncourt des
Lycéens 2007, il fallait un dessinateur audacieux et musclé. Manu Larcenet,
encore auréolé de sa quadrilogie Blast, était le choix tout trouvé
pour une entreprise aussi délicate. Il y fait preuve de toute sa maîtrise
graphique habituelle. Comme le souligne le romancier dans le communiqué de
presse, « les planches ont parfois l’aspect abrupt de bois gravés, d’autres
fois la finesse d’eaux-fortes et de pointes sèches ».
Mais une des forces du livre de Philippe Claudel, c’est le fil du narrateur,
ce rapport que Brodeck improvise page après page et qui permet au lecteur de
recomposer doucement l’histoire avec ou sans majuscule. Une voix simple
d’apparence, comme issue d’une conversation, mais dont les virages
dissimulent la vérité. Traduire ce texte en images ne va donc pas de soi.

Larcenet fait des choix radicaux. Il alterne les mises en scène de
l’écriture du rapport, au présent, avec de grandes scènes muettes qui
reviennent notamment sur les moments forts du récit. Le verbe de Brodeck,
réduit à la portion congrue, ne contient plus les chausse-trappes et les
détours qu’il avait dans le roman de Claudel. Surtout, au lieu d’opter pour
la feinte transparence du texte, Larcenet fait le choix contestable
d’ajouter à la noirceur du fond. Ses dessins sont sombres, puissants, muets
et immobiles. Ils véhiculent une densité des émotions qu’aucun esthétisme ne
vient dissimuler.
Pourtant, il fait preuve d’une sensibilité peu commune. Son trait faussement
réaliste marie d’une planche à l’autre le naturel et le monstrueux. Certains
personnages semblent relever du fantastique ou de la métaphore, d’autres de
la photographie. Les uns et les autres sont unifiés par cette noirceur
constante, qui emplit les hommes comme le monde. Larcenet sait comme
personne dessiner la neige, la poussière, le brouillard et les mouches. Le
noir comme le blanc ne servent ici qu’à masquer, éparpillant un ballet des
ombres au premier plan de la scène, trichant avec les secrets et ne
dévoilant que des mensonges. Exit les trouées de lumière qui faisaient
respirer Blast. Même la nature, les décors, dans leur apparente
neutralité, suintent d’une douleur sans nom.

Il n’est pas certain que Philippe Claudel retrouve ici ses petits. Mais il
est clair que cette bande dessinée marquera ses lecteurs au fer noir.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 27/04/2015 )
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