Bande dessinée Adaptation |
Dans les pins - 5 ballades meurtrières de Erik Kriek Actes Sud - l'An 2 2016 / 19.90 €- 130.35 ffr. / 144 pages ISBN : 978-2-330-05769-5 FORMAT : 19x26 cm Ballade, je suis ballade Un marin tourmenté par le souvenir de sa bien-aimée. Puis un condamné à mort qui se tait pour protéger sa maîtresse. Ensuite un jeune noir qui traîne dans les quartiers réservés aux blancs. Et encore une femme enceinte déguisant un noir secret. Sans oublier une fille de bagnard qui accueille un évadé en cavale. Cinq murder ballads du folklore américain passées en bande dessinée : le répertoire rassemblé ici convoque Peete Seeger, Johnny Cash, Mick Jagger ou encore Kylie Minogue, des ballades écrites entre le dix-huitième siècle et 1996 et qui ont en commun de traiter de forêts et de crimes irrésolus. L'adaptation de chanson en bandes dessinées a déjà une longue histoire derrière elle. Le plus souvent, il s'agit de redonner corps à un texte, et de chercher les images qui pourraient accompagner la musique. Comme un clip dont on aurait déjà la bande-son. La démarche de Dans les pins est très différente. Si Erik Kriek s'attaque à des folk songs des plus réputés, parfois des standards de la musique américaine, on dirait surtout qu'il essaye de faire oublier le modèle originel. Ce qu'il nous raconte, ce sont bel et bien des récits, remplis de pièges et de noires ironies, transformés lorsque trop connus. Pas de musicalité, mais des nouvelles anciennes. À défaut d'un rythme sonore, l'origine musicale de ces histoires leur donne une étrange couleur commune, proche du fait divers. Kriek pourrait tout aussi bien puiser son inspiration dans les pages de Détective ou dans Faites entrer l'accusé, tout aussi anonymes. Les personnages se réduisent à une humanité pitoyable, des combats perdus d'avance contre la jalousie et la haine. On tue, on aime, on meurt. Pas besoin du fantastique de Lovecraft, c'est la condition humaine qui fait le sel de l'intrigue. Kriek se passe d'ailleurs de donner les références de ces textes, comme s'il puisait dans un fonds commun indéterminé, rendant nécessaire un bilan final où Jan Donkers, entre deux éloges plus superflus, rend à César ce qui lui appartient. Au-delà de la réappropriation des scénarios, l'auteur imprime sa marque par des choix graphiques originaux. Le dessin est superbe, rappelant par moment les gravures à l'ancienne comme celles des woodcut novels de Lynd Ward. La couleur quant à elle s'appuie sur des bichromies marquées, différentes pour chaque ballade, et qui nous fait voyager d'un lieu et d'une époque à l'autre. À chaque fois, l'image reste sombre, les noirs omniprésents, et les ténèbres l'emportent. Le dessinateur aime les vignettes horizontales, les paysages silencieux, les tristes déséquilibres. Cette vision d'une société malheureuse dresse le portrait d'une Amérique blessée, héritière du wild west et des guerres de toutes sortes, reconvertie dans les aventures individuelles. Chacun à leur manière, les héros de ces cinq ballades font preuve de la même force de volonté, une obstination féroce qui confine à l'obsession et les mène souvent à leur perte. Les flash-backs, nombreux, témoignent d'un passé qui leur revient à la mémoire avec la dure nécessité d'une malédiction antique. Il ne fait pas bon vivre dans les bandes d'Erik Kriek. Clément Lemoine ( Mis en ligne le 25/02/2016 ) |
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