L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

Cul de sac (tome 2) - Jeux d'enfants
de Richard Thompson
Delcourt - Outsider 2012 /  13.95 €- 91.37  ffr. / 128 pages
ISBN : 978-2-7560-2137-9
FORMAT : 21,6x23 cm

Alice au pays des merveilles

Pour beaucoup d'amateurs, la meilleure bande dessinée est affaire de comic strip. E. C. Segar, Roy Crane, Milton Caniff ou Schultz sont quelques uns de ses auteurs les plus remarquables ; des pivots sans lesquels le médium et ses récits ne seraient pas les mêmes.
Dans le domaine, malheureusement, les nouveaux venus talentueux sont rares. Il est donc d'autant plus important de remarquer Cul de sac, la formidable pépite de Richard Thompson, dont Delcourt traduit le deuxième volume.

Une partie des strips de la série tournent autour de mots d'enfants, qui comprennent de travers la maîtresse ou prennent les expressions au pied de la lettre. Mais à la fragilité du trait, à la finesse d'un dessin plein de peurs et de taches d'encre, on sent déjà que l'univers de cet auteur n'est pas celui des diaporamas artisanaux sur fond de coucher de soleil et de musique niaise.
Ici règnent l'humour, la tendresse, mais aussi le bizarre et la mélancolie. Où on se dit que Charlie Brown, Mafalda ou Calvin auraient pu aller à l'école du quartier.
Petey est l'aîné de la fratrie Otterloop. Il poursuit pour notre bonheur la lignée des enfants terrifiés par le monde. Petey s'évanouit à la vue du sang, se ronge le bras en cas de stress, et se couvre d'un drap lorsqu'il faut aller à la piscine. Et se demande sérieusement si son ami Ernesto n'est pas imaginaire. Avec lui resurgissent toute les angoisses enfantines d'un monde hostile, dans un rire jaune qui fait écho à tous nos échecs passés, présents et à venir.
Pour survivre, Petey a trouvé « la boucle parfaite », relire éternellement la même case de la même page de la même bande dessinée, dans laquelle le héros lit lui-même une bande dessinée. Ou comment se résigner à n'être rien d'autre qu'un spectateur passif, un personnage fixe qui ne risque rien de pire que sa propre condition.

Mais c'est Alice, la cadette de Petey, qui surprend le plus. Si vous lui demandez de faire son portrait, elle vous parlera d'« une horrible chauve-souris terrifiante », mais « qui est aussi toute mimi et toute douce, et rose, si possible. » Et en effet, elle est à la fois l'un et l'autre.
Alice est convaincue de vérités épouvantables : la route est un trou sans fond rempli de lave et d'alligators ; le bébé Oh-Ho, prophète glaçant, envahit le bac à sable ; et les nuages ont des tentacules. Les jours où elle n'essaye pas de faire sortir ses yeux sur des antennes, elle décide qu'elle est la Porteuse du Malheur et l'Enfant du Chaos.

Mais cette obsession de l'horreur donne la clef d'un monde presque enchanté par le morbide. Alors que ses parents supportent mal ses digressions permanentes et les vérités qui sortent de sa bouche, alors que son frère compense allergies et phobies par l'isolement dans ses lectures, Alice dévore le monde avec joie. Une alliance de la magie et du monstrueux, comme une leçon quotidienne pour apprendre à reconnaître les petits bonheurs catastrophiques. Ainsi, le mot « curiosité » reprend tout son sens.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 30/01/2012 )
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