L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

La fille du professeur
de Joann Sfar et Emmanuel Guibert
Dupuis - Expresso 2003 /  9.50 €- 62.23  ffr. / 64 pages
ISBN : 2-8001-3454-2
FORMAT : 21 x 30 cm

Thé, petits gâteaux et bandelettes

Le postulat de départ est complètement absurde : c'est l'histoire d'amour entre miss Liliane, la fille du professeur Powell, et Imhotep IV, le prince d'une Egypte disparue il y a trente siècles, accessoirement momifié et promis à finir ses jours éternels sous vitrine au British Museum. L'improbable relation fait évidemment le mécontentement du professeur et du propre père d'Imhotep, lui aussi miraculeusement revenu du fond des âges antiques. Les deux mignons amants seront confrontés à une suite de péripéties loufoques avant de pouvoir finalement se retrouver sous le même bonheur londonien.

Lorsque sort La fille du professeur en octobre 1997, les deux inconnus que sont encore Joann Sfar et Emmanuel Guibert ne se doutent pas qu'une réédition six ans plus tard viendrait fêter ce curieux album que personne n'attendait. Le bouche-à-oreille, suivi d'un prix René Goscinny (dont le fantôme hante de nombreuses pages de cet opus) et d'un Alph-Art Coup de Coeur à Angoulême célèbreront à sa juste valeur cette oeuvre remarquable, déjà devenue aujourd'hui un classique. Sfar et Guibert continueront dès lors leur route avec le succès que l'on sait, et l'assurance d'avoir en poche une carte de visite plus que respectable.

Et pourtant, rien n'était gagné à l'époque tant l'histoire imaginée par les deux auteurs reste farfelue sur le papier. Entre histoire d'amour, fable loufoque et récit d'aventure, l'album oscille d'une page à l'autre. L'écriture libérée d'un certain carcan scénaristique retrouve les joies de l'improvisation. L'esprit du feuilleton est perpétuellement présent dans La fille du professeur. Ainsi, la narration semble parfois se tromper de voie pour mieux se rattraper à la planche suivante, tel ce curieux voyage en Egypte annoncé et attendu qui ne viendra finalement jamais.

Mais cette ébauche d'écriture automatique est efficacement contrebalancée par un découpage strict qui serait comme l'¹indispensable barrière à l'imagination débordante de Sfar. Ainsi, à quatre petites exceptions près, chaque planche se compose de six case disposées régulièrement. Pas de mise en scène tape à l'oeil ni de vignettes qui se chevauchent ou se déforment. C'est le moyen le plus épuré qui soit, le plus noble aussi sans doute, pour raconter une histoire en bande dessinée. Et ce sont cette apparente simplicité et cette façon d'emporter son lecteur avec une belle désinvolture, qui font tout le charme de cet album incomparable.

Chaque vignette est une ravissante miniature fignolée par le pinceau de Guibert. Les teintes choisies avec soin et le sens évident du geste et des expressions, obligent le lecteur à s'arrêter et revenir sur certaines cases particulièrement réussies.

Truffé de dialogues succulents et de situations rocambolesques où même la Reine d'Angleterre finira dans la Tamise, La fille du professeur fait partie de ces albums rares et précieux, au charme immédiat et dont la lecture est un moment douillet et privilégié.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 10/10/2003 )
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