L'actualité du livre
Bande dessinéeet Humour  

L'Humanité moins un
de Thomas Gosselin
Editions de l'An 2 2004 /  14 €- 91.7  ffr. / 64 pages
ISBN : 2-84856-027-4
FORMAT : 16,5 x 23,5 cm

Comme les six doigts de la main

L’Humanité moins un, curieux et insolite album, met en scène plusieurs saynètes, emboîtées les unes dans les autres, et composant des variations souvent drôles, parfois plus noires, autour d’une même situation de départ. Six personnes forment un groupe uni et soudé (par choix ou par obligation) jusqu’au moment où elles réalisent que l’une d’entre elles doit être éliminée. Il y a ainsi un sextet d’écoliers, de naufragés, d’ouvriers ou encore de chauffards grimés en clowns… Dans chaque cas, un individu est de trop, et les manières de l’éliminer seront différentes selon le contexte. Il y a parfois une instance supérieure (un commissaire de police, un professeur) chargée de désigner la victime, parfois, comme pour les naufragés, les six individus doivent se débrouiller entre eux et eux seuls.

Grâce à ce simple point de départ, Thomas Gosselin réalise une bande dessinée loufoque et très originale, en parfait équilibre entre démonstration implacable et exercice de style burlesque. L’auteur se charge d’examiner les différentes implications qu’amène l’éviction du personnage en trop : avec rigueur, il pose de véritables questions philosophiques avant de s’adonner à une séance de logique élémentaire. L’absurde est bien évidemment ici de mise, mais il ne cache pas complètement les raisonnements rigoureux de Gosselin. C’est que l’on traite ici des questions de volonté, de choix, de liberté, de différence, de culpabilité et de sens commun… Là où le comique surgit c’est souvent dans le télescopage de deux univers a priori éloignés : un officier de police disserte sur la fission de l’atome, un ouvrier s’en remet aux lois des probabilités… La confrontation des discours et de ceux qui les tiennent, ainsi que la constante imbrication des scènes les unes dans les autres apportent beaucoup de rythme et une permanente drôlerie.

Même réduite à un échantillon de six personnes (et quelques figurants…), l’humanité de Thomas Gosselin reste toujours la même, pleine de gros défauts, de petites lâchetés et d’égoïsme primaire. Il n’y a qu’à voir le dessin du jeune auteur : trognes défoncées, faciès écrasés, malformations quasi cubistes… les personnages mis en scène ici sont passés sous le crayon compresseur d’un dessinateur qui connaît sans doute bien le travail de Blutch ou de Prado. Pas beau à voir peut-être, mais drôle et inventif assurément. Heureusement, tout n’est pas si désespéré dans ce microcosme puisque se profile à l’horizon, au fil des possibles envisagés, une autre histoire, une amitié naissante qui donnera peut-être d’autres fruits…

Un petit album joliment déstabilisant et laissant entrevoir la patte d’un auteur à suivre assurément.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 16/10/2004 )
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