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Histoire & Sciences socialeset Poches  

L'Opium des intellectuels
de Raymond Aron
Hachette - Pluriel 2010 /  10 €- 65.5  ffr. / 338 pages
ISBN : 978-2-8185-0018-7
FORMAT : 11cm x 18cm

Introduction de Nicolas Baverez

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.


A rebours

Marx écrivait naguère que «la religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple». En 1955, Raymond Aron plaça ces quelques lignes en exergue de son essai L'Opium des intellectuels. Dans cet ouvrage célèbre et critique, celui qui fut Professeur de sociologie à la Sorbonne dénonçait la mainmise de l'idéologie marxiste sur la quasi-totalité de l'intelligentsia française et l'aveuglement de cette dernière. Au fil des pages, R. Aron pourfendait les intellectuels et les compagnons de route du Parti Communiste Français, au premier rang desquels se trouvaient son ancien camarade Jean-Paul Sartre ainsi que les contributeurs des Temps modernes.

Dans la dernière réédition de ce classique, Nicolas Baverez a pris la plume pour présenter l'œuvre de son maître à penser. D'emblée, N. Baverez place L'Opium des intellectuels au même niveau que La Trahison des clercs de Julien Benda (1927) et L'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne (traduit en 1975). Il considère cet ouvrage comme faisant partie intégrante du «petit nombre des livres clés dans l'histoire intellectuelle de la France du XXe siècle». Écrit certes peu après la mort de Staline, mais tout de même en pleine Guerre Froide, L'Opium des intellectuels se singularise par sa «radicalité critique». Celle-ci se déployant sur les terrains de la politique, de l'histoire, de la philosophie et de la morale, l'impact de cet ouvrage a transcendé les frontières hexagonales. Le livre eut «un retentissement mondial».

«Éclairant d'un jour théorique les premières interrogations suscitées par les témoignages sur le phénomène concentrationnaire en URSS, conforté par la révolution anti-totalitaire de Hongrie en octobre 1956, L'Opium contribua à la première vague de décommunisation des intellectuels français à la fin des années 1950», rien de moins. Ce qui est d'autant plus remarquable qu'à l'époque l'effondrement de l'empire soviétique n'allait pas de soi, loin s'en faut. Le communisme constituait une alternative parfaitement crédible au modèle occidental de démocratie libérale. Mao venait en effet de prendre le contrôle de la Chine et la guerre de Corée s'était enlisée. Le prestige du communisme était bien réel. L'Armée Rouge n'avait-elle pas puissamment contribué à vaincre le nazisme ?

Ainsi, les blocs capitaliste et communiste se faisaient clairement face. L'hostilité était à tout le moins palpable. Pour reprendre l'aphorisme aronien, si la paix était impossible, la guerre était improbable. Et «chacun, écrit N. Baverez, devait choisir son camp». «Ce choix politique et historique trouvait sa source dans un clivage idéologique», alimenté par les grandes controverses intellectuelles opposant, dans la plupart des cas, «les intellectuels organiques du Parti communiste et les compagnons de route, très largement majoritaires», à «une poignée de personnalités indépendantes, réunies autour de la défense de la liberté politique». En France, le second courant intellectuel fut principalement animé par André Malraux et Raymond Aron. Comme le rappelle N. Baverez, «tous deux partageaient un passé d'homme de gauche, une légitimité d'écrivain ou d'universitaire, un engagement résistant précoce pour Aron (passé à Londres dès juin 1940), plus tardif pour Malraux». Ce sont surtout leurs méthodes qui devaient finalement les distinguer, Raymond Aron demeurant pour l'essentiel «spectateur engagé».

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 18/01/2011 )
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