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Histoire & Sciences socialeset   

Paris 1900 - Essai d'histoire culturelle
de Christophe Prochasson
Calmann-Lévy 1999 /  / 348 pages

Paris 1900 en ses reflets

A l'origine de ce livre, se trouve le projet de comprendre ce que l'auteur appelle dans une belle formule, la "légende de Paris" (p. 12). Tout au long du XIXe siècle, de nombreux récits français et étrangers ont fait de la Ville-lumière un véritable mythe. La survalorisation de la place occupée par la capitale française dans la culture européenne - dont l'ouvrage de Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle est probablement l'un des cas les plus caractéristiques - mérite en effet d'être réexaminée. Ce point de départ amène Christophe Prochasson qui avait publié un remarquable ouvrage d'histoire culturelle en 1991 (Les Années électriques: 1880-1910, La découverte), à faire le choix dès l'introduction d'une analyse centrée sur la culture des élites qui sont, précisément, à l'origine de ce discours particulier sur Paris.

Dans cette recherche, l'auteur ne s'en est pas tenu aux seules sources littéraires que l'histoire culturelle a eu longtemps tendance à privilégier. Les écrits des urbanistes et des réformateurs sociaux, des scientifiques et plus généralement des savants, aussi bien que les guides de voyage, les toiles des peintres ou les partitions des musiciens sont mis au service de son étude qui met au jour la multiplicité des supports de la "légende de Paris", constitutive d'un "espace imaginaire" (p. 24).

Parmi ces sources, l'auteur accorde également une grande importance aux documents privés, en particuliers aux correspondances qui sont habilement utilisées en contrepoint des écrits imprimés. Cette approche d'histoire culturelle n'omet pas de considérer que ces représentations variées sont le fait de groupes sociaux divers: à cet égard, l'auteur propose au lecteur une vaste enquête au sein de ces élites parisiennes dont l'homogénéité sociale recouvre des modes d'expression fort différents et un discours qui n'est pas toujours univoque. En cela, Christophe Prochasson montre, si besoin en était, que l'histoire culturelle ne peut se couper d'une interrogation sur les groupes sociaux qui en sont le support. Prévenons cependant le lecteur qu'il ne trouvera pas dans ce livre une histoire culturelle du Paris fin-de-siècle et l'on renverra à cet égard aux Années électriques. En effet, l'intention de l'auteur est de proposer dans cet essai d'histoire culturelle une analyse originale du lien entre espace géographique - celui d'une capitale européenne - et un espace imaginaire s'incarnant dans de multiples représentations.

Soucieux de restituer la réalité d'une situation historique, l'auteur montre tout d'abord que la légende parisienne doit être largement nuancée. S'appuyant sur les travaux d'Anne-Marie Thiesse et de Jean-François Chanet, C. Prochasson indique que la vitalité des cultures provinciales à la jonction des siècles doit relativiser toute conclusion hâtive sur la centralisation culturelle parisienne, régulièrement évoquée. En outre, Paris subit la concurrence d'autres capitales européennes, celle de Londres mais aussi celle de certaines villes d'Europe centrale et orientale, Berlin, Vienne et Prague. La thèse principale de l'ouvrage est de montrer que face à l'intégration des masses se traduisant dans le domaine culturel par l'émergence d'une culture de nature nouvelle, les élites parisiennes réagissent par la fragmentation et la fermeture des espaces culturels qu'elles contrôlent.

Les quatrièmes et cinquièmes parties du livre sont de ce point de vue une passionnante démonstration de cette réaction qui se révèle par les usages et les pratiques de ces élites. En se penchant alors sur les vecteurs de la culture parisienne des élites, l'auteur propose un vaste tableau des salons, du fonctionnement du "système des revues" (p. 166), des conférences, de la critique d'art ainsi que des multiples enquêtes fleurissant au début du nouveau siècle. L'ensemble de ces manifestations culturelles révèle de nouvelles règles du jeu manifestant la distance séparant les élites des masses. La référence au "bon goût" qu'elles invoquent régulièrement devient alors un critère majeur de distinction.

A la suite de Christophe Charle ("Le temps des hommes doubles", Revue d'histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1992), l'auteur s'intéresse alors à ces hommes chargés de former les critères de distinction culturelle. Ecrivains, universitaires, critiques, ils ont tendance à s'éloigner de la presse d'information gagnée par la massification culturelle et à se replier sur les lieux privés ou semi-privés que sont les salons et les revues. Ainsi se forme peu à peu en matière culturelle une apparence d'opinion publique dont les normes sont fixées par l'élite parisienne: à cet égard, l'ouvrage de Christophe Prochasson est une contribution historique à un débat contemporain (Patrick Champagne, Faire l'opinion, Minuit, 1990). L'auteur achève sa démonstration en évoquant brillamment à l'appui de sa thèse le cas de l'Affaire Dreyfus. Phénomène éminemment parisien, l'Affaire est la démonstration des mécanismes qui président désormais à l'influence des masses dans la société parisienne et aux réactions élitaires autant chez les antidreyfusards que chez les dreyfusards.

L'auteur tend ainsi à montrer, à partir de l'exemple parisien, que c'est au début du siècle que se dissocia durablement la culture des élites de celle des masses. L'analyse originale de Christophe Prochasson reposant sur une analyse du lien unissant l'espace réel à l'espace imaginaire de la capitale s'avère sur ce sujet pleinement convaincante.

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 11/04/2000 )
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