L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Torturer à l'antique - Supplices, peines et châtiments en Grèce et à Rome
de Guillaume Flamerie de Lachapelle et Collectif
Les Belles Lettres - Signets 2013 /  14,50 €- 94.98  ffr. / 260 pages
ISBN : 978-2-251-03020-3
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Sévices antiques

Guillaume Flamerie de Lachapelle, maître de conférences de langue et littérature latines à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, et auteur d’une thèse sur la notion de clémence à Rome (Clementia. Recherches sur l’idée de clémence à Rome, du début du Ier siècle a.C à la mort d’Auguste, Bordeaux, Ausonius, 2011) nous offre dans la collection ''Signets'' des Belles Lettres une très intéressante anthologie de textes au contenu plutôt sinistre, puisque ces derniers concernent les tortures, les peines et les châtiments dans l’Antiquité classique. Ce recueil est précédé d’un entretien avec Sami Ben Hadj Yahia, Edouard Durand et Florence Fitte-Vallée, magistrats et professeurs à l’Ecole Nationale de la Magistrature, qui apportent un éclairage plus large, et notamment contemporain, sur le sujet.

La première partie présente des textes proposant une réflexion sur le châtiment et la peine. En effet, dès Platon, on s’est interrogé sur la finalité de la peine, et il est apparu assez vite, aux yeux des philosophes et des théoriciens, que celle-ci ne devait pas seulement réparer le tort subi par la victime ; il s’agissait aussi de guérir le coupable et surtout de protéger la société. On a pu ainsi voir certains penseurs, tel Sénèque dans son traité De la clémence, se demander s’il ne valait pas mieux parfois s’abstenir de sévir pour parvenir à ce double résultat. D’autres au contraire se montraient beaucoup plus répressifs et prônaient la manière forte (on pourrait presque dire la «tolérance zéro»), notamment les adeptes de la raison d’état, mais aussi les avocats attaquant un accusé en justice. En tout état de cause, le droit des victimes n’occupait pas une place centrale dans les écrits des juristes, des philosophes et des autres moralistes. Concernant la torture, on distinguait clairement celle s’appliquant aux esclaves, totalement admise, et celle s’appliquant aux hommes libres, entourée d’une forte réprobation, sauf dans le cas des crimes les plus graves (parricide, crimes contre l’Etat). Des auteurs ont souligné également les limites de l’efficacité de la torture.

La deuxième partie s’intéresse au contexte domestique. La condition d’esclave était loin d’être réjouissante, même si un maître cruel et trop violent suscitait l’opprobre. A Rome, le pater familias pouvait réprimer certains crimes au sein de sa propre famille. Toute souillure entachant la famille pouvait être sanctionnée de manière très sévère. L’adultère, quant à lui, pouvait être puni à l’intérieur de la famille ou bien par la cité, et les peines prévues pouvaient être très lourdes. Ainsi, une loi athénienne attribuée au sévère Dracon (VIIe siècle av. J.-C.) autorisait un mari surprenant sa femme avec un autre homme à tuer ce dernier sur-le-champ sans être poursuivi. Auguste, lui, n’hésita pas à condamner sa propre fille à un exil rigoureux pour punir ses incartades. Des traitements infamants pouvaient également être pratiqués : Aristophane comme Catulle évoquent l’intromission d’un raifort dans le fondement de l’amant, tandis que Plutarque rapporte qu’à Cymè la femme adultère était exhibée sur un âne.

La troisième partie traite des châtiments au sein de l’espace civique. A Athènes et à Rome, la plupart des délits et des crimes étaient sanctionnés par une amende ou des coups. La prison ne faisait pas partie des peines régulières. La peine de mort existait, mais n’était peut-être pas toujours appliquée. Les Romains de la République, par exemple, se vantaient de ne jamais mettre à mort un citoyen et de toujours lui laisser la possibilité de l’exil. En revanche, les personnages à qui l’on reprochait de constituer un danger pour l’Etat ne pouvaient compter sur aucune clémence de la part des autorités. La mise à mort d’hommes libres ayant trahi leur patrie ou leur souverain était jugée totalement légitime. Le même raisonnement autorisait aussi l’élimination brutale d’ennemis politiques jugés trop gênants. Les châtiments d’actes considérés comme impies ou sacrilèges étaient également particulièrement sévères. Il suffit de penser, à Rome, aux Vestales n’ayant pas respecté leur vœu de virginité, qui étaient emmurées vivantes, ou aux parricides qu’on cousait dans un sac de cuir avec un chien, un coq, une vipère et une guenon, avant de jeter le tout à la mer.

La quatrième partie est centrée sur les châtiments infligés par des souverains. L’accent est souvent mis par les auteurs grecs et latins sur la cruauté des souverains barbares, notamment le Grand Roi des Perses. En pays grec, les tyrans n’ont rien à leur envier en termes de tortures raffinées, qu’il s’agisse de Phalaris d’Agrigente faisant rôtir des suppliciés à l’intérieur d’un taureau de bronze, ou d’Agathocle de Sicile leur faisant subir un sort semblable sur un lit d’airain. A Rome, certains empereurs ne sont pas en reste (et pas seulement Caligula ou Néron), si l’on en croit les récits de Suétone ou de l’Histoire Auguste (peut-être pas toujours objectifs…). Il serait cependant erroné de n’attribuer ces tortures qu’au sadisme d’esprits dérangés rendus fous par le pouvoir ; en effet, la nécessaire exemplarité que devait revêtir un châtiment a pu pousser certains à user d’un supplice inouï avant tout comme un élément de dissuasion, visant à prévenir toute récidive. Mais si la force brutale et la violence peuvent se montrer efficaces, elles n’obtiennent pas toujours un succès moral. En effet, l’Antiquité regorge d’actions héroïques par lesquelles les victimes ont triomphé de leurs bourreaux, qu’il s’agisse de philosophes païens ou de martyrs chrétiens. La cruauté des tortionnaires peut aussi finir par se retourner contre eux.

La cinquième partie reste dans le registre des violences politiques, mais dans un cadre impérialiste. Ainsi, au sommet de sa puissance, l’empire athénien eut parfois recours à une répression féroce contre certains de ses alliés récalcitrants. Les Romains, de leur côté, aimaient à rappeler par contraste la douceur de leur domination. Cependant, certains éléments isolés pouvaient déroger à ce modèle, comme Verrès en Sicile, et l’on n’hésitait pas à utiliser la manière forte en cas de menace grave sur l’empire. Des traitements implacables, comme le supplice de la croix, étaient ainsi infligés aux pirates et aux brigands, sans parler des bandes d’esclaves révoltés, comme ceux soulevés à l’instigation du gladiateur Spartacus. Le domaine militaire est au cœur de la sixième partie. Dans le monde ancien, aucune norme juridique précise ne bridait le pouvoir des vainqueurs (Vae victis !), même s’il existait des règles tacites d’humanité et de modération empêchant généralement la transformation des victoires militaires en boucheries. Cependant, ces principes ne jouaient plus guère contre des nations jugées barbares ou inférieures. César ordonna ainsi, par exemple, d’amputer cruellement les milliers de Gaulois qui avaient capitulé à Uxellodunum, à seule fin de produire un exemple dissuasif. Au sein de l’armée, les déserteurs subissaient également des punitions sévères. Il s’agissait en effet de maintenir la discipline. Mais les atrocités semblent avoir été plus importantes encore dans des contextes de guerre civile, notamment dans les conflits entre imperatores à la fin de la République romaine, qui ont connu deux proscriptions sous Sylla et le second triumvirat.

Le recueil se termine sur le monde des dieux et des héros. Dans les récits mythiques, les divinités appliquent des châtiments terribles à ceux qui les défient ; Prométhée est enchaîné sur un rocher du Caucase où l’aigle de Zeus vient lui dévorer son foie qui repousse chaque nuit ; Marsyas est écorché vif par Apollon pour avoir prétendu être un meilleur musicien que le fils de Lèto. De leur côté, les rédacteurs ou les commanditaires des tablettes de malédiction appellent de leurs vœux une justice ou une rétribution directement exercée par les dieux. Aux Enfers, certains criminels subissent des tourments particulièrement abominables, à la hauteur de leur impiété et de leurs crimes. Une tradition postérieure cherche à lier les punitions infernales non plus à un être singulier, mais à une classe de criminels ou à un genre déterminé de fautes. Sans croire forcément à la réalité de ces supplices, de nombreux penseurs et moralistes anciens, tels Lucrèce ou Phèdre, s’en sont servis comme des allégories à l’appui de leur doctrine morale ou juridique.

Comme toujours pour la collection ''Signets'', on trouve à la fin de l’ouvrage de brèves notices sur les auteurs anciens cités, une bibliographie pour aller plus loin, un index des auteurs et des œuvres, et, plus original mais plus adapté au sujet, un macabre mais fort utile index des supplices et des modes d’exécution…

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 28/05/2013 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)