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Histoire & Sciences socialeset Antiquité & préhistoire  

Nuits antiques
de Virginie Leroux
Les Belles Lettres - Signets 2013 /  14.50 €- 94.98  ffr. / 312 pages
ISBN : 978-2-251-03021-0
FORMAT : 11,0 cm × 17,9 cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE), est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne à Paris, où il est responsable du CADIST Antiquité. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

Fiat nox !

Virginie Leroux, maître de conférences de littérature latine à l’Université de Reims, a déjà co-dirigé deux volumes collectifs sur Les Visages contradictoires du sommeil de l’Antiquité à la Renaissance (Camenae 5, 2008) et sur Le Sommeil : approches philosophiques et médicales de l’Antiquité à la Renaissance (Paris, Champion, à paraître en 2014). Elle était donc toute qualifiée pour réunir et présenter les textes consacrés aux Nuits antiques dans la collection ''Signets'' des Belles Lettres. Cette anthologie est précédée, comme tous les autres volumes de la collection, d’un entretien avec une personnalité ayant travaillé sur le sujet ou en lien avec lui. Il s’agit ici de la retranscription d’un entretien entre le philosophe Michel Serres et Michel Polacco diffusé sur France Info le 1er mai 2011.

En guise de préambule («La nuit des temps») sont présentés trois textes où la Nuit personnifiée joue un grand rôle à l’origine du monde : la Théogonie d’Hésiode qui fait de Nyx (la Nuit), fille de Chaos, l’une des deux mères originelles des lignées divines (avec Gaïa, la Terre) ; les Oiseaux d’Aristophane qui, parodiant une théogonie orphique, lui fait pondre un œuf originel d’où naît Eros ; enfin le papyrus de Dervéni, découvert à demi-brûlé dans une tombe de Macédoine, qui contient le commentaire d’une cosmo-théogonie orphique où la «noire Nuit», dotée de pouvoirs oraculaires originels, conseille Zeus, le roi des dieux.

La première partie quitte le domaine du mythe pour s’intéresser à «la nuit des savants». Plusieurs auteurs se sont ainsi intéressés à la question de l’alternance des jours et des nuits : selon Aristote (repris par Pline l’Ancien), qui défend la théorie géocentriste, il fait nuit quand la Lune s’interpose devant les rayons solaires et que l’ombre de la Terre éclipse les rayons de la Lune. Selon l’épicurien Lucrèce, le Soleil meurt chaque soir d’épuisement et se reforme chaque matin grâce à l’afflux d’atomes de feu. Selon Platon, dans le Timée, c’est la course du Soleil et de la Lune qui détermine le jour et la nuit. Ovide voit quant à lui dans cette alternance une illustration de la théorie pythagoricienne du mouvement perpétuel de l’univers. D’autres textes s’intéressent à la question de la mesure de la nuit et du jour et à la variation de leur durée respective en fonction des saisons. La nuit est également bien présente dans les textes astronomiques et astrologiques, d’Aristote et Ptolémée (qui offre en 140 ap. J.-C., avec le Tétrabiblos, la première synthèse de l’astrologie occidentale) à Aristarque de Samos (le premier à exprimer, dès le IIIe siècle av. J.-C., la théorie héliocentriste).

La seconde partie («Noctambules») traite des activités des Anciens pendant la nuit, qui était plus sombre pour eux que pour nous, malgré les torches, les lanternes et les phares (dont le célèbre édifice, haut de 135 mètres, signalant aux navigateurs le port d'Alexandrie), et souvent source d’effroi. La nuit est bien sûr le temps privilégié du repos et du sommeil, même si les médecins et les philosophes platoniciens, épicuriens et stoïciens prescrivent d’en limiter la durée tout en tentant d’en contrôler la qualité. Les Chrétiens de leur côté célèbrent et redoutent tout à la fois le sommeil, don de Dieu mais également état où il est plus facile de céder au péché. La nuit est également le temps privilégié des amours, qu’ils soient adultères ou légitimes. Dans plusieurs épigrammes de l’Anthologie grecque figurent des invocations à la lampe, témoin muet des amants. La nuit est aussi le témoin des amours nocturnes de Médée chez Apollonios et de Didon chez Virgile. Elle sert de cadre au drame du nageur nocturne raconté par Musée dans Héro et Léandre. Elle favorise aussi le quiproquo fatal à Pyrame et Thisbé dans les Métamorphoses d’Ovide.

La nuit est généralement un temps de trêve pendant les conflits armés, mais elle n’interdit pas des épisodes spectaculaires où des assaillants profitent de l’obscurité pour attaquer les villes assiégées. La ruse du cheval de Troie permet ainsi la prise nocturne de la cité de Priam. Au contraire, en 309 av. J.-C., l’assaut nocturne des Gaulois contre le Capitole est déjoué par la vigilance des oies sacrées, comme le conte Tite-Live. La nuit est encore le temps des fêtes et des veillées, notamment des banquets, qui offrent le cadre d’un véritable genre littéraire illustré par Platon, Xénophon, Plutarque ou Athénée. De nombreux philosophes, considérant le sommeil comme du temps perdu, consacrent une partie non négligeable de la nuit à lire et à écrire. Aulu-Gelle intitule ainsi son œuvre Nuits attiques parce qu’il la rédige pendant les longues nuits d’hiver d’un séjour sur le territoire athénien. L’obscurité et le sommeil général profitent aussi aux voleurs et aux criminels, la nuit favorisant les adultères (ainsi celui de Messaline conté par Juvénal), les vols, les agressions, les assassinats (ainsi le matricide d’Agrippine commandité par Néron) et les conjurations.

La troisième partie («Le royaume de l’ombre») est consacrée aux représentations et à l’imaginaire de la nuit chez les Anciens. La Nuit personnifiée intervient dans plusieurs épisodes mythologiques (dès l’Iliade où elle protège le Sommeil de la colère de Zeus) ou dans des récits allégoriques. La nuit apparaît aussi comme un symbole de l’ignorance dès les philosophes présocratiques Héraclite et Parménide, sans parler de Platon et des néo-platoniciens qui opposent la nuit de l’erreur et de l’illusion à la clarté de l’Intelligible. On retrouve une conception semblable chez les Pères de l’Eglise. Les ténèbres nocturnes sont pour eux un symbole des forces du mal. Déjà, chez Hésiode, la Nuit était présentée comme la mère d’une lignée maléfique incarnant tous les maux affligeant les hommes. La nuit est aussi le temps des rêves, auxquels les Anciens accordent souvent une valeur oraculaire, même si dans l’Odyssée Pénélope distingue les rêves mensongers qui viennent par la porte d’ivoire des songes véridiques qui viennent par la porte de corne. Au contraire, Aristote et Cicéron privilégient des explications rationalistes des rêves, leur déniant tout caractère divin ou prémonitoire. Mais de nombreux médecins interprètent les rêves comme des signes de maladies, et le culte d’Asclépios implique des incubations sacrées au cours desquelles les patients reçoivent des rêves thérapeutiques. Artémidore offre avec son Onirocritique un des traités les plus fameux d’interprétation des songes. La nuit est également le domaine de la Lune dont les représentations sont aussi riches que celles de la Nuit. Astre de la fécondité, elle régit tout ce qui croît et décroît : les marées, la croissance végétale et animale, les règles des femmes, les fièvres et certaines folies…

La quatrième et dernière partie («Nuit magique») s’intéresse aux cultes nocturnes (notamment ceux célébrés pendant les pannychies, des fêtes durant toute la nuit, sans oublier les fêtes chrétiennes de Noël et de la veillée pascale), à la nuit des morts, des démons et des sorcières (c’est par excellence le moment d’irruption du surnaturel, notamment de la déesse magicienne Hécate et de son sombre cortège, qui président aux apparitions, terreurs et autres agressions nocturnes). C’est souvent la nuit, également, que les dieux s’adressent aux hommes ou que s’opèrent, chez certains auteurs chrétiens, les extases mystiques.

Comme toujours pour la collection ''Signets'', on trouve à la fin de l’ouvrage de brèves notices sur les auteurs anciens cités, une bibliographie pour aller plus loin (comprenant à la fois les textes anciens et des études contemporaines) et un index des auteurs et des œuvres. Le tout fait de ce recueil un outil précieux pour ceux qui s’intéressent aux différents aspects de la nuit dans l’Antiquité gréco-latine, et même dans l’Antiquité orientale (égyptienne et mésopotamienne), qui a légué aux Grecs et aux Romains nombre de ses conceptions astrologiques et astronomiques, comme le signale l’auteure dans plusieurs de ses commentaires.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 04/03/2014 )
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