L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

La Civilisation féodale - De l'an mil à la colonisation de l'Amérique
de Jérôme Baschet
Aubier - Historique 2004 /  28.50 €- 186.68  ffr. / 566 pages
ISBN : 2-7007-2337-6
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions d’histoire des religions et d’histoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages d’initiation portant notamment sur le Moyen Age et sur l’histoire de l’art.

Moyen Age et Nouveau Monde

Le projet ambitieux (et réussi) de J. Baschet est de présenter une synthèse recouvrant quelque mille ans d’histoire occidentale à partir de celle qu’il a constituée pour ses étudiants du Chiapas. Aussi, en toile de fond, les mises en relations entre Ancien et Nouveau Monde sont-elles toujours présentes, même si elles ne font pas le sujet du livre. 1492, loin d’être une rupture, apparaît comme une articulation ; l’expansion en Amérique – volonté de promouvoir l’unité chrétienne - est la conséquence logique de la fin de la Reconquista ; les conquistadores (ceux, du moins que ne pousse pas le seul appât de l’or) sont mus par une mentalité médiévale d’évangélisation et de croisade. Les conquêtes du XVIe siècle s’inscrivent dans la droite ligne d’une dynamique née au XIe siècle. Et l’auteur de souligner, ici et là, les parallélismes que présentent féodalisme occidental et colonialisme en Amérique.

A la façon d’un élève respectueux, jusque dans la méthode, des maîtres médiévaux, J. Baschet ne prétend pas faire œuvre originale, mais présente son ouvrage comme une «compilation» des meilleurs travaux de notre temps. Ses propres options s’expriment toutefois sans détour, ne serait-ce qu’à travers le choix qu’il a fait de ses références, toujours citées d’ailleurs. On le sent particulièrement à l’aise dans les synthèses de J. Le Goff, notamment lorsque celui-ci propose d’envisager un Moyen Age qui irait du IVe siècle à la révolution industrielle.

Deux grandes parties se partagent un livre construit à la façon d’un manuel pédagogique : d’abord apporter les connaissances élémentaires, selon les cadres chronologiques d’un Moyen Age traditionnel ; ce décor mis en place, réfléchir aux structures fondamentales de la société occidentale à travers des thèmes transversaux (le temps, l’espace, le religieux, les images, etc.). Le langage est accessible ; en fin de chapitre, quelques lignes de conclusion ramassent l’essentiel de la réflexion et des apports.

Mention particulière doit être faite des documents d’illustration. 13 cartes et plans, d’abord, souvent originaux, toujours démonstratifs. Pour prendre un seul exemple, la carte de l’expansion de l’Europe du XIe au XIVe siècle fait ressortir de façon saisissante l’expansion germanique, les mouvements de croisades, de Reconquista, les influences clunisiennes et cisterciennes, sur un même document. Les reproductions figurées, ensuite. Difficile de ne pas porter un jugement négatif sur la qualité d’une impression en noir et blanc, sans grand contraste. Mais les choix qui ont été faits, et surtout le détail des commentaires, originaux, judicieux, apportent un réel plus ; on en arrive à voir autrement des documents pourtant bien connus comme le linteau du péché d’Eve à Autun ou les miniatures catalanes des commentaires de l’Apocalypse. Si le plaisir de l’œil n’est pas satisfait par les 52 reproductions, du moins apportent-elles une grande richesse documentaire et remplissent-elles le rôle informatif qu’on a voulu leur donner.

Impossible de rendre compte en quelques lignes de la richesse de cette synthèse, d’ailleurs facile à consulter grâce à un découpage en chapitres et paragraphes clairs, une bibliographie raisonnée et un abondant index. Au fil des pages, l’auteur livre sa compréhension par exemple de ce qu’on a appelé le bouleversement de l’an mil, pour lui articulation d’un processus qui prend forme au cours des Xe et XIe siècles, les fameuses «terreurs» ne représentant qu’un mythe forgé beaucoup plus tard. Au cœur de la société médiévale, il place les relations vassaliques ; le schéma de la division en trois ordres se dessine dès l’époque carolingienne et s’installe durablement à la fin du XIIe siècle. L’histoire de l’Eglise, des ordres monastiques et du sentiment religieux est largement prise en compte.

Au total, le Moyen Age occidental est présenté comme une période de renaissances successives, toutes désireuses de retrouver un âge d’or appartenant au passé. Et ce que nous appelons «la Renaissance», celle du XVIe siècle, n’est qu’un épisode, parmi d’autres, de ce désir. Dès lors, c’est bien «l’Occident médiéval qui prend pied en Amérique» (p. 255).

Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 23/04/2004 )
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