L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

Haro ! Noël ! Oyé ! - Pratiques du cri au Moyen Age
de Nicolas Offenstadt et Collectif
Publications de la Sorbonne - Histoire ancienne et médiévale 2004 /  22 €- 144.1  ffr. / 248 pages
ISBN : 2-85944-496-3
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu: Olivier Marin, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, enseigne l’histoire du Moyen Age à l’Université Paris-Nord et au Séminaire Saint-Sulpice.

Le Moyen Age à cor et à cri

Voici un livre indispensable. Dans une civilisation de l’oral comme l’était le Moyen Age, la profération du cri s’enracinait dans les pratiques quotidiennes et se prêtait à des usages multiples : les hérauts pour diffuser l’information au son des trompettes, les pleureuses lors des funérailles, les guerriers au fort des batailles, les victimes détroussées par un voleur, tous criaient.

L’étude relève toutefois de la gageure. En l’absence d’archives sonores, force est de détecter les traces indirectes que le cri a pu laisser dans une documentation forcément éparse et peu diserte. C’est ce à quoi s’est attelée une équipe dirigée par D. Lett et N. Offenstadt, deux historiens de la Sorbonne (Paris-1) connus pour leur approche anthropologique de l’enfance et des rituels de paix médiévaux. La même perspective a présidé à la conception du volume, qui s’attache à dépasser la description folklorique pour restituer la grammaire des comportements sonores, c’est-à-dire l’ensemble des possibilités socialement légitimes de prendre la parole dans une société donnée.

Le propos est d’emblée fermement dessiné. Alors que tant de recueils collectifs rassemblent dans le désordre des contributions dépareillées, une copieuse introduction vient ici donner sens et cohérence à l’ensemble. L’accent y est mis sur les normes sociales et sur les codes culturels investissant le cri d’une fonction régulatrice. On regrettera seulement que soit sacrifiée l’analyse lexicographique du cri. Les auteurs s’exposent ainsi au risque de subsumer sous un même vocable des réalités que les médiévaux désignaient et éprouvaient très différemment : clamer, hucher, braire, japper etc., une telle richesse expressive ne peut être négligée comme si tous ces termes étaient interchangeables.

Suivent 10 études particulières, toutes axées pour l’essentiel sur l’espace français du Moyen Age central et tardif. A côté de développements attendus sur le rôle des crieurs ou l’expression du deuil (mais on s’étonne que ne soient pas évoqués les cris de révolte quand on sait que certaines commotions médiévales, telle la Harelle de Rouen, ont dû leur nom aux cris qui les avaient provoquées), se signalent à l’attention des aperçus juridiques et liturgiques plus originaux. Le lecteur va ainsi de découverte en découverte : on y apprendra entre autres que les rois de France interdirent aux princes d’être salués comme eux par le cri «Noël», quels étaient en pays wallon les effets du cri primal sur la transmission des biens de famille ou encore comment, le jour du Vendredi Saint, les fidèles de l’Eglise wisigothique en appelaient à l’indulgence du Seigneur par des cris répétés 72 fois !

Quel que soit le domaine traité, les différents contributeurs ont le grand mérite de ne pas isoler le cri, mais de l’étudier dans ses rapports de complémentarité soit avec les autres bruits composant le paysage sonore du Moyen Age, à commencer par ceux des trompes et des cloches, soit avec les formes écrites, voire iconographiques, de la communication. Chose rare dans l’historiographie française et d’autant plus appréciable, deux non médiévistes ont été enfin invités à rendre compte de l’historiographie du cri dans leurs spécialités respectives, celle de la Grèce ancienne pour l’une et de l’époque de la Libération pour l’autre. La comparaison donne à chaque fois à méditer sur les variations temporelles et spatiales en même temps que sur des types de questionnement communs, relatifs aux genres ou aux acteurs du cri.

A bien des égards, les auteurs ont ainsi réussi à ériger en objet d’histoire une forme de la parole jusqu’ici presque complètement négligée. On s’en voudrait donc de relever les rares raccourcis contestables et autres hypothèses insuffisamment justifiées. Le lecteur s’interrogera peut-être davantage sur l’axiome anthropologique énoncé en conclusion, selon lequel «loin de créer le désordre et d’exprimer la rudesse des moeurs, le cri laisse entrevoir une société régulée» (p.234). Sans doute est-il bon de rappeler que les sociétés médiévales n’ont pas attendu le procès de civilisation des mœurs pour se doter de codes d’autant plus prégnants qu’ils restaient largement tacites. Mais on prendra garde au fait que cette vision ritualiste du cri résulte pour une part de la reconstruction des sources écrites, dont il convient de démasquer les stratégies narratives : leur fonction n’est-elle pas précisément de raconter les événements comme ils auraient dû se passer et de gommer tout ce que le cri peut avoir de déstabilisateur ?

Avec I. Guyot-Bachy, on n’oubliera donc pas que les cérémonies de l’information ont été parfois détournées et qu’il a pu exister des cris hors normes, porteurs de désordre et d’exclusion : ceux des fuyards et des blessés. Dans cette perspective, on aura tout intérêt à lire en contrepoint du présent volume la mise au point critique de Ph. Buc, Dangereux rituel. De l’histoire médiévale aux sciences sociales (PUF, 2003).

Olivier Marin
( Mis en ligne le 22/09/2004 )
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