L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

la France médiévale - Institutions et société, 2ème édition
de Jean-François Lemarignier
Armand Colin - "U" 2000 /  29.01 €- 190.02  ffr. / 426 pages
ISBN : 2-200-25128-9

Féodalité et Etat au Moyen Âge

Armand Colin vient de rééditer le célèbre manuel et ouvrage de synthèse de Jean-François Lemarignier consacré à l’histoire des institutions médiévales. Elle ne diffère, quant à son contenu, de la première édition de 1970 que dans la mesure où elle intègre un supplément bibliographique de dix pages. Son sous-titre original, "Institutions et Société", disparaît par ailleurs de la couverture pour se réfugier dans les pages intérieures. Ceci probablement afin de ne pas faire double-emploi avec le "Pouvoirs et Institutions de la France médiévale", que l’on doit à O. Guillot, Y. Sassier et A. Rigaudière.

Et en effet, l’on est en droit de se demander si ce dernier et monumental ouvrage, à la fois plus récent (1994) et plus développé, embrassant toute l’histoire de la pensée politique, du gouvernement et de l’administration royale au Moyen Âge, ne rend pas obsolète et dépassé celui de Lemarignier. Ces deux livres sont par ailleurs l’oeuvre de professeurs d’histoire du droit, et la filiation est d’autant plus évidente qu’O. Guillot a été l’élève de Lemarignier.

Malgré cela, la France médiévale a été un jalon essentiel de la redécouverte de l’histoire politique et institutionnelle. Cette remise à l’honneur s’est faite à travers une démarche originale. Lemarignier s’emploie en effet constamment à remettre en perspective l’évolution des institutions avec l’histoire de la pensée politique et des changements sociaux et économiques qui ont marqué le Moyen Âge. Tous ces facteurs sont à ce point indissociables que, sur une longue période, il est souvent difficile de distinguer causes et conséquences, tant elles se contaminent et se renforcent mutuellement. L’auteur réussit pourtant à démêler très efficacement l’écheveau de ces grandes tendances par la rigueur de l’argumentation et du plan, sans cesse justifié et commenté.

Les éléments de la démonstration s’enchaînent avec harmonie et maîtrise, et de constants renvois renforcent encore la cohésion de l’ensemble, véritable statue d’airain, fondue d’une seule pièce sans que cela en ait altéré la souplesse. A chaque concept, correspond un exemple, un terme précis, une périodisation stricte.

L’histoire de la naissance de la féodalité, puis du renouveau de l’autorité royale et de l’idée d’état, permis par la redécouverte du droit romain à partir du XIIè siècle, est au centre du manuel de Lemarignier. Les étapes du morcellement territorial, l’émergence de la recommandation et de la vassalité, le passage de celle-ci à la féodalité classique sont parfaitement mises en lumière, bannissant toutes les généralisations, approximations, amalgames et anachronismes trop fréquents. L’auteur montre comment on est passé du fidèle au vassal et du bénéfice au fief, qui devient peu à peu le fondement de la féodalité, aux dépens des liens d’homme à homme.

A partir de la fin du XIè siècle, c’est le fief qui fait le vassal et conditionne ses obligations envers le seigneur il n’est plus une récompense donnée en contrepartie de la fidélité. On retrouve là les idées exprimées par F-L Ganshof dans Qu’est-ce que la féodalité ? paru en 1944. L’appropriation des droits régaliens, l’évolution du statut juridique des fiefs et des principautés, la théorisation, puis l’établissement d’une hiérarchie féodale qui redonne au roi sa prééminence, sont également exposés en détail. On n’oubliera pas non plus l’étude du gouvernement royal au XIè siècle, objet de l’un des plus célèbres livres de l’auteur, dans lequel il décrit le passage progressif d’une monarchie de type carolingien à une monarchie féodale qui s’appuie sur un domaine royal reconquis et pacifié.

La méthode comparative de Jean-François Lemarignier s’applique tout aussi heureusement à la période suivante, marquée par l’essor de la monarchie. En effet, la réforme grégorienne, la renaissance du droit romain, ainsi que le développement du commerce et de l’économie monétaire l’ont grandement aidé et soutenu, ce qui rend leur étude en parallèle indispensable. L’auteur montre la façon dont les rois ont exploité toutes les possibilités offertes aussi bien par le droit féodal que par le droit romain pour imposer leur suzeraineté aux arrière-vassaux, puis leur souveraineté à l’ensemble de ce qui va devenir une nation. La noblesse sera alors contrainte de troquer, selon l’expression de P. Contamine, ses pouvoirs contre des privilèges.

Par sa rigueur, son approche globale, sa hauteur de vue, la variété des thèmes exposés et l’ampleur de la période embrassée, le manuel de Jean-François Lemarignier reste toujours aussi utile, malgré le vieillissement de certains passages sur les villes ou la société. Il peut ainsi servir d’introduction aux autres ouvrages de la collection "U" consacrés au Moyen Âge, Pouvoirs et Institutions de la France médiévale, l’économie médiévale et la Société médiévale. Il donne enfin l’occasion de remonter aux pères de l’histoire médiévale contemporaine, comme Pirenne, Ganshof, Lot, Petit-Dutaillis, Duby, abondamment cités, dont les thèses, alors novatrices, furent à l’origine de toutes les découvertes récentes.

Amable Sablon du Corail
( Mis en ligne le 10/08/2000 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)