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Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

Robert le Pieux - Le roi de l'an mil
de Laurent Theis
Perrin 1999 /  21.22 €- 138.99  ffr. / 268 pages
ISBN : 2-262-01375-6

L'institution royale au début du XIe siècle

Profitant de l'effet de miroir qui renvoie de la fin du millénaire que nous vivons à son début, L. Theis a publié chez Perrin un ouvrage de vulgarisation scientifique sur le fils d'Hugues Capet. Robert le Pieux n'occupe certes pas une place particulièrement avantageuse dans le panthéon des rois qui se sont succédés pendant huit siècles sur le trône des lis. Cela valait pourtant la peine de lui consacrer une biographie. Il contribua en effet à conforter la dynastie capétienne à la tête du royaume, en réussissant à forger de lui-même une image de roi modèle qui put servir de référence pour ses sucesseurs. L'auteur nous montre par ailleurs en quoi consistait l'exercice de la fonction monarchique peu après l'an mil.

L. Theis, qui a écrit un brillant ouvrage sur l'évolution de la royauté au cours des IXe et Xe siècles, paru aux éditions du Seuil dans la collection Points, L'Héritage des Charles de la mort de Charlemagne aux environs de l'an mil, a accordé à l'étude de celle-ci une place de choix. Qu'est-ce qu'un roi après la dislocation de l'Empire carolingien et avant l'élaboration d'une monarchie féodale, puis nationale? Quels sont ses moyens d'action, sa puissance réelle, son rôle ? L'institution royale a beaucoup perdu au cours de la crise de l'Empire, au IXe siècle, à laquelle vint se greffer l'émergence d'un monde pré-féodal entre 950 et 1000. Des principautés territoriales et des dynasties sont nées, sur lesquelles on ne lui reconnaît aucune autorité autre que purement symbolique. Les hommes et la terre lui échappent, donc aussi la puissance militaire, fondement du ban, pouvoir de contraindre et punir, des rois Francs. Le domaine royal, c'est-à-dire les régions où celui-ci exerce sans entraves les droits régaliens, où il possède domaines fonciers et péages, où l'on reconnaît sa justice, et où il est à peu près sûr que ses fidèles viendront s'il les convoquent pour la guerre, se réduit à la région parisienne et à l'Orléanais.

Mais l'auteur s'attarde peu, peut-être trop peu, à faire ce déprimant constat, bien connu du reste. Il préfère insister sur les atouts qui restent au roi, hérités de l'idéologie carolingienne et loin d'être sans valeur. Le monarque peut ainsi compter sur l'appui des évêques, qui peuplent ses conseils, anathémisent ses adversaires, et qui l'accompagnent à la guerre avec leurs contingents. Robert le Pieux continue à les désigner dans le nord du royaume, bien au delà du domaine royal, et cette prérogative ne lui a jamais été sérieusement contestée. Les conflits entre le candidat royal et celui du chapitre cathédral ou d'un lignage influent sont certes nombreux, mais se terminent en général par la victoire du premier. Il est vrai que les prélats y gagnent aussi, tant le roi les favorise dans ses arbitrages face aux comtes et autres puissants laïcs qui tentent d'empiéter sur les droits et les domaines épiscopaux.

Car le roi reste avant tout un arbitre, au service de l'église et de la justice. Son avis compte, au moins à chaque fois qu'il ne commet pas l'erreur d'être juge et partie, comme le firent au Xe siècle les derniers Carolingiens. Ainsi, Robert le Pieux ne réussit pas à confisquer à son profit les comtés champenois dont hérita Eudes II de Blois. De même, s'il mit un terme aux visées du comte Otte-Guillaume sur le duché de Bourgogne, il ne put le rattacher au domaine et dut le donner à son second fils. En revanche, son intervention fut décisive pour maintenir l'équilibre entre les princes du royaume, notamment entre les comtes d'Anjou et de Blois. Bien souvent, il s'interposa entre laïcs et clercs, entre évêques et moines, patronne des réconciliations, et, parfois, mit sa force au service de la justice.

Enfin, Robert le Pieux remplit du mieux qu'il le put sa mission sacrée, gagnant par sa piété les faveurs de Dieu pour ses sujets et pour la gloire de sa dynastie. Il soutint la réforme clunisienne, attentif aux conseils prodigués par ses représentants et multipliant les donations. La faveur dont il bénéficia auprès d'eux ne fut pas pour rien dans le maintien de relations correctes, sinon cordiales, avec la papauté, malgré ses deux divorces.

Cette biographie est une belle oeuvre de vulgarisation, L. Theis restant fidèle tout au long du livre à la ligne qu'il a adopté. Tout a été fait pour rendre le livre plaisant à lire. Le style est alerte et présente quelques similitudes avec celui de G. Duby. L'auteur s'efforce ainsi avec succès de se replacer dans les mentalités de l'époque, sans tomber toutefois dans les excès de l'auteur du Dimanche de Bouvines, qui, à force, donnait trop souvent dans le pastiche des oeuvres du temps. Les notes en bas de page sont réduites au minimum, les sources sont citées directement dans le corps du texte, mais le sont toujours à chaque fois qu'il le faut. Enfin, l'historien ne succombe pas à la tentation de parler du contexte de l'an mil plus que du règne d'un roi dont on sait malgré tout relativement peu de choses. On regrettera tout de même qu'il ait complètement escamoté le problème de la mutation féodale et de l'émergence de la seigneurie banale, qui va bouleverser si profondément les structures du pouvoir dans l'Occident médiéval.

Robert le Pieux est le dernier représentant d'une monarchie privilégiant par la force des choses la sacralité et la fonction de représentation à la reconquête du royaume. celle-ci commencera timidement sous Philippe Ier, au prix d'un discrédit presque total, mais qui ne fut que momentané, en partie grâce au souvenir laissé par Robert.

Amable Sablon du Corail
( Mis en ligne le 08/08/2001 )
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