L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Louis XIV et vingt millions de Français
de Pierre Goubert
Hachette - Pluriel 2010 /  8 €- 52.4  ffr. / 415 pages
ISBN : 978-2-8185-0006-4
FORMAT : 11cm x 18cm

L'auteur du compte rendu : Agrégé et docteur en histoire, Alexandre Dupilet est professeur dans le secondaire.

Archi-snob et calomnieux ?

Dans son attachante autobiographie, Un parcours d’historien (éditions Fayard, 1995), Pierre Goubert n’accorde que quelques lignes à Louis XIV et 20 millions de Français, se contentant de noter que son ouvrage «ne passa pas inaperçu». Le grand historien est bien modeste. Depuis 1966, date de sa première publication, son Louis XIV en est à sa neuvième édition, ce qui témoigne d’un succès dont rêverait tout historien d’aujourd’hui, succès amplement mérité pour ce classique, qui marqua une rupture dans l’historiographie du Grand Siècle.

Pierre Goubert n’avait pas seulement pour ambition de dresser un portrait du Grand Roi, de retracer son règne, mais, à l’image de ce qu’il avait fait dans sa thèse sur Beauvais et le Beauvaisis, de pénétrer dans les «profondeurs du royaume» et de rendre toute sa place au peuple français, dont l’histoire avait été négligée. Les premiers chapitres, qui portent sur le «signalement économique», le «signalement social» et le «signalement démographique» de la France, donnent d’emblée le ton de l’ouvrage, qui met à portée du grand public les apports historiographiques de l’école des Annales. L’auteur n’hésite pas à revenir sur quelques idées reçues, «démythifiant» Colbert et sa politique, en rappelant que bien des mesures mises en place par le contrôleur général des Finances «étaient banales depuis un siècle». Pour autant, Pierre Goubert ne dédaigne pas adopter une approche plus classique. Le livre suit un plan qui épouse les grandes inflexions du règne. Et nombre de chapitres sont consacrés aux guerres de Louis XIV et à son action diplomatique. Mais on sent bien que ces passages obligés ennuient quelque peu l’auteur, qui donne sa pleine mesure lorsqu’il dresse, pour différentes périodes, un tableau économique du royaume, lorsqu’il rend compte de la vie quotidienne des sujets de Louis XIV ou qu’il tente, dans un dernier chapitre stimulant, de mesurer la portée de l’action du roi.

Plus de quarante ans après sa publication, cet ouvrage reste donc une excellente introduction au règne de Louis XIV, que l’on recommandera vivement aux étudiants ou aux lecteurs désireux de se familiariser avec le Grand Siècle. Il est néanmoins dommage que l’éditeur n’ait toujours pas jugé bon de faire quelques mises à jour. Les progrès de la recherche semblent s’être arrêtés nets en 1977, date à laquelle fut établie la bibliographie. La lecture de cette dernière n’est pas sans charme : on relèvera ainsi que Pierre Goubert conseille vivement le Mourir autrefois de Michel Vovelle «et tout ce qu’on pourra lire de ce jeune historien». Ce n’est malheureusement pas ce que l’on demande à une recension d’ouvrages. Peut-être aura-t-on droit à une véritable refonte lors de la dixième édition ?

Reconnaissons néanmoins qu’en publiant les comptes rendus parus dans la presse à l’époque de la première publication, l'éditeur a eu une excellente idée. On pourra ainsi lire la critique de la jeune journaliste Michèle Cotta qui, dans Le Point, n’hésitait pas à comparer Louis XIV avec de Gaulle et Hugues de Lionne avec Couve de Murville. Comme bien souvent lorsqu’il s’agit de critiques, les plus savoureuses et les plus hilarantes sont également les plus méchantes, et dans le cas de ce livre, adressées, pour la plupart, par la presse de droite. Pour Bernard Fay, dans Aspects de la France, héritier de l’Action française, ce livre se résume à une litanie de calomnies et est uniquement «destiné à transférer la gloire de ce règne sublime du souverain à ses sujets». Dans le Nouvel Adam, André Julien qualifie la collection dans laquelle fut publié ce Louis XIV d’archi-snob et raille l'outrecuidance de l’auteur qui «évoque en une ligne les qualités et les défauts de la savoureuse Princesse Palatine et du duc de Saint-Simon». Il ajoute, faisant référence au premier chapitre : «Sans ces écrivains furieux, que seraient nos annales et l’école des Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre dont se réclame M. Goubert ? Cher Monsieur, ils ne nous auraient donné que d’ennuyeux signalements économiques et sociaux (…)». Rien que pour ces annexes réjouissantes, qui sont aussi un témoignage de la vigueur des débats historiographiques dans les années 60, on conseillera cette dernière édition à tous ceux qui en possédaient une plus ancienne.

En bref, nous dirons donc, sans forfanterie, ni fatuité, en reprenant les termes du critique du Bulletin bibliographique des Armées, que «nous n’hésitons pas à affirmer, qu’à notre sens, le livre de M. Goubert est remarquable», et avec Emmanuel Le Roy Ladurie, dans la Quinzaine littéraire, que nous souhaitons «cent mille lecteurs à ces Vingt millions de Français», vœu qui, certainement, a déjà été exaucé.

Alexandre Dupilet
( Mis en ligne le 26/10/2010 )
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