L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Splendeurs et misères du XVIIe siècle - Mazarin - Louis XIV et vingt millions de Français
de Pierre Goubert
Fayard - Les Indispensables de l'Histoire 2005 /  20 €- 131  ffr. / 822 pages
ISBN : 2-213-62617-0
FORMAT : 14,0cm x 20,0cm

Dans la même collection :

Lever Evelyne, Les Dernières noces de la Monarchie. Louis XVI - Marie-Antoinette, Fayard, octobre 2005, 20 €, ISBN : 2-213-62619-7

Tulard Jean, Figures d'Empire. Murat - Fouché - Joseph Fiévée, Fayard, octobre 2005, 20 €, ISBN : 2-213-62714-2

Favier Jean, Un roi de marbre. Philippe le Bel - Enguerran de Marigny, Fayard, octobre 2005, 20 €, ISBN : 2-213-62649-9

Carrère d'Encausse Hélène, Russie, la transition manquée. Nicolas II - Lénine - Unité prolétarienne et diversité nationale, Fayard, octobre 2005, 20 €, ISBN : 2-213-62616-2

Weber Eugen, La France de nos aïeux. La fin des terroirs - Les imaginaires et la politique au XXe siècle, Fayard, octobre 2005, 20 €, ISBN : 2-213-62656-1

L'auteur du compte rendu : Rémi Mathis est élève à l'Ecole Nationale des Chartes. Il prépare une thèse sur Simon Arnauld de Pomponne sous la direction d'Olivier Poncet (ENC) et Lucien Bély (Paris IV).


Splendeurs et misères de l’édition

On ne compte plus les éditions et rééditions de certains livres : Louis XIV et vingt millions de Français de Pierre Goubert a ainsi été réédité une bonne demi-douzaine de fois, été mis au format poche et est passé sous les aimables fourches caudines de France-Loisirs. Son Mazarin jouit d’une moins grande renommée mais ces deux livres méritent assurément leur rang de classiques : on ne peut que se réjouir de cette réédition.

Les éditions Fayard viennent en effet de créer une nouvelle collection où seront réédités des classiques de grands historiens : Favier pour le Moyen-Age, Carrère d’Encausse pour l’histoire contemporaine et bien d’autres… C’est donc Pierre Goubert qui à l’honneur d’être statufié comme représentant de l’histoire moderne. Il s’agit d’offrir deux (parfois trois) livres dans un format demi-poche pour un prix modique (20 euros) qui doit permettre son achat par tous, notamment par les étudiants. Technique marketing classique qui cherche à toucher un nouveau marché après avoir épuisé les autres : mais qui s’en plaindra ?

D’autant que Louis XIV et vingt millions de Français (1967) a été un tournant dans l’appréhension intellectuelle du Grand Siècle, en tant que première synthèse qui mettait en valeur la foule des travaux effectués sur le XVIIe siècle dans l’esprit de l’Ecole des Annales. Goubert utilisait pour la première fois les travaux alors novateurs de Chaunu, Le Roy Ladurie ou Mandrou, tous jeunes chercheurs de l’époque, devenus pontes d’aujourd’hui. Il mettait l’accent également sur les travaux étrangers, ceux «qui avaient le front de s’occuper du XVIIe siècle français et qui, par surcroît, le faisaient avec une compétence croissante et une liberté d’esprit généralement admirable» (p.468).

Le plan demeure, lui, classique : après avoir fait un bilan de la France de Mazarin, P. Goubert déroule la chronologie du règne dans trois parties (1661-1679 : le temps des hardiesses ; 1679-1689 : le temps du mépris, grandes options et grands changements ; 1689-1714 : le temps des épreuves). Enfin, dans une cinquième partie plus originale, sans doute, il dresse un bilan de la France en 1715 et de l’action du roi.

S’il a été vu comme un Louis XIV «de gauche», remarquons que la raison se situe plus dans les méthodes et les thèmes traités que dans les conclusions. Pierre Goubert – à l’inverse de certains biographes qui ont encensé le Grand roi d’une manière qui laissait transparaître des idées politiques – ne donne pas dans l’exagération, il ne tente pas de réduire les réussites et grandeurs du roi quand grandeur il y a. Seulement, il s’intéresse à ce dernier essentiellement dans ses interactions avec la société de ses sujets. Il n’hésite certes pas à remettre en cause des idées reçues dans un style plein de verve et d’humour («…au Conseil d’En-haut, où le Dauphin venait bailler de temps en temps…» - p.645) mais il écrit également avec modestie qu’étant donné les nouvelles voies de recherches qui s’ouvraient alors largement, un nouveau Louis XIV serait à récrire peu de temps après.

Son Mazarin est une biographie de grande valeur qui suit la montée en puissance d’un homme que rien ne prédisposait à faire carrière en France et encore moins à en devenir le principal ministre. Le plan est donc chronologique mais sait se ménager des pauses afin d’approfondir tel ou tel point important. Apprécions par exemple la seconde partie («Le premier quinquennat 1643-1647») qui fait le point de manière claire sur les souvent trop obscures questions financières, ainsi que le ralenti sur la Fronde (troisième partie : «Les années terribles (1648-1652») qui permet d’appréhender des enjeux de pouvoir emmêlés. Enfin, la cinquième partie («L’empreinte et l’héritage»), qui nous mène après la mort du cardinal, est le complément indispensable à la biographie stricto sensu, suivant le rôle de Mazarin dans la diffusion de l’art italien en France et examinant son influence politique qui s’est fait sentir longtemps après 1661.
Á sa sortie, ce travail était l'un des premiers à utiliser certaines études nouvelles (celles de M. Dessert et de Mme Bayard sur les financiers, par exemple), tout en ne négligeant pas, encore une fois, les historiens étrangers. On retrouve là encore le style vif et percutant, parfois ironique, de l’auteur.

Hélas, le travail de l’éditeur, une fois de plus – chez Fayard comme d’autres - manque. Certes, travail il y a dans l’élaboration de la maquette qui permet de redonner un coup de jeune à des ouvrages anciens. Hélas, il ne s’agit que d’une simple réédition (toutefois pas à l’identique puisqu’on a pu insérer des coquilles absentes de l’édition précédente !), sans aucune mise à jour des ouvrages. Il en résulte que les bibliographies sont dépassées et, de ce fait, à peu près inutiles. Louis XIV et vingt millions de Français n’a toujours pas d’index malgré le nombre de ses rééditions. On aurait aimé que l’auteur (ou même un autre historien) prenne acte des évolutions de l’historiographie depuis la parution de ces livres, que P. Goubert revienne sur ses idées pour les confirmer ou nous faire part de l’évolution de sa pensée (d’autant plus qu’il l’avait fait en 1991 : comme il aurait été intéressant de connaître les vues d’un grand historien sur son sujet de prédilection, en 1967, 1991 et 2005 !). C’est dommage ; mais tentons d’y voir une tentative d’abaisser les coûts et de rendre donc ces travaux abordables. On ne peut pas tout avoir !

Malgré ces réserves, ces deux ouvrages, à la fois pour leur importance historiographique et leur valeur intrinsèque, sont de ceux qu’il convient d’avoir lus (en les confrontant éventuellement à d’autres livres plus récents). Les étudiants en tireront grand profit pour leur réflexion personnelle et le curieux accèdera de manière agréable et rigoureuse aux secrets du Grand Siècle.

Rémi Mathis
( Mis en ligne le 24/11/2005 )
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