L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Crown, Church and Episcopate under Louis XIV
de Joseph Bergin
Yale University Press 2004 /  / 544 pages
ISBN : 0300103565

Prix de vente : 45 £ / 60 $.

L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris-I-Sorbonne, Thierry Sarmant est conservateur en chef du patrimoine au Service historique de l'armée de Terre. Il prépare, sous la direction du professeur Daniel Roche, une habilitation à diriger des recherches consacrée à "Louis XIV et ses ministres, 1661-1715". Il a publié une vingtaine d'articles sur l'histoire politique et culturelle de la France moderne et contemporaine et six ouvrages dont Les Demeures du Soleil : Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003)et La Roumanie dans la Grande Guerre et l'effondrement de l'armée russe (1999).


Des intendants violets?

En 1996, Joseph Bergin publiait The Making of the French Episcopate (1589-1661), dont ce livre est la continuation. Comme le précédent, Crown, Church and Episcopate under Louis XIV ne retrace ni l’histoire de l’Eglise sous Louis XIV, ni celle des controverses religieuses du XVIIe siècle, ni même celle de l’activité pastorale des évêques au sein de leur diocèse. Le point de vue est plus limité : il s’agit d’étudier comment, six décennies durant, la monarchie française a façonné l’épiscopat du royaume. Pour ce faire, Joseph Bergin envisage les évêques comme une «élite dirigeante d’un type particulier» (p.8) et mène une enquête prosopographique exemplaire sur les 250 évêques sacrés entre 1661 et 1715, telle que nous n’en disposons pas encore, malheureusement, pour les intendants de province ou les conseillers d’Etat. Crown, Church and Episcopate appartient donc moins à l’histoire de l’Eglise qu’à l’histoire de l’Etat.

Comme d’autres historiens du Grand Siècle, J. Bergin est confronté au poids des Mémoires de Saint-Simon, où le talent littéraire du peintre crée des tableaux puissants, criants de vie et de vérité… mais assez éloignés de la réalité ! Aux portraits d’évêques parfois corrosifs laissés par le mémorialiste, l’auteur oppose des données statistiques plus sereines et l’étude minutieuse de l’influence sur les nominations des crises politiques et religieuses du règne (affaire de la régale, quiétisme, querelle janséniste). Quand le duc de Saint-Simon fustige «les barbes sales de Saint-Sulpice», variation ecclésiastique sur le thème du «long règne de vile bourgeoisie», J. Bergin rétablit les faits et les chiffres : dans l’épiscopat louis-quatorzien, l’ancienne noblesse est majoritaire et la noblesse, ancienne et nouvelle, totalement prépondérante (78% de l’effectif). Cet épiscopat est de plus en plus français - car les étrangers, nombreux dans la période précédente, se font rares -, et parisien, de naissance (un tiers de l’effectif), ou d’élection (189 évêques sur 250 ont pris des grades à l’université de Paris). Plus souvent passé par les séminaires que ses devanciers, nommé à un âge plus élevé (la quarantaine), davantage résident, moins souvent appelé à quitter son diocèse pour un autre, l’évêque-type du règne personnel de Louis XIV correspond de mieux en mieux aux normes post-tridentines. Tous ces indicateurs sont plus nets à partir des années 1680, qui se révèlent, une fois encore, comme le tournant du règne.

L’examen du cursus honorum des évêques vient détruire bien des clichés, notamment celui du monopole des «abbés de cour». Avant de coiffer la mitre, l’évêque louis-quatorzien est souvent aumônier du roi (42), parfois agent général du clergé (18), mais surtout grand vicaire d’un diocèse (86). Quand les esprits chagrins se scandalisent du «remue-ménage des évêques» (Mme de Sévigné), pour opposer ces mœurs à celles de la primitive église, l’examen des biographies épiscopales démontre que ces mouvements du haut personnel ecclésiastique sont de plus en plus limités. La partie la plus stimulante du livre est sans doute l’étude des hommes et des instances sur lesquels Louis XIV s’appuie pour nommer aux évêchés : le Conseil de conscience, les archevêques de Paris, Péréfixe (1664-1671), Harlay de Champvallon (1671-1695) et Noailles (1695-1729), les confesseurs du roi, le P. Annat (1654-1674), le P. Ferrier (1670-1674) le P. de La Chaize (1674-1709), le P. Tellier (1709-1715), et enfin Mme de Maintenon. Contrairement à ce qu’ont pensé bien des contemporains, le confesseur du roi n’est pas un ministre des bénéfices, et Louis XIV a toujours veillé à ce que de multiples canaux de recommandation remontent jusqu’à lui. À partir des années 1680, se met en place un calendrier des nominations, qui ont lieu après les grandes dévotions du roi. La nomination des évêques devient «un rituel dans le rituel» (p.181).

Le seul regret laissé par cette lecture est de ne pas voir davantage l’épiscopat en action, notamment dans son rôle d’auxiliaire du pouvoir royal. On voudrait savoir si les évêques, ces officiers généraux de la «milice sacrée», peuvent être tenus pour des «intendants violets», comme plus tard les évêques de Napoléon seront des «préfets violets». On voudrait voir à l’œuvre les grandes figures politiques de l’épiscopat, un Bonzi en Languedoc, un Villeroy à Lyon ou un Le Tellier à Reims. Mais donner ces exemples, c’est déjà répondre à l’objection : il y aurait là matière à plusieurs livres.

Le dictionnaire biographique qui forme la seconde partie de l’ouvrage prend la suite de celui qui figure dans The Making of the French Episcopate. Les deux ouvrages forment ainsi un tout, un instrument de travail indispensable à la connaissance de la classe dirigeante française du XVIIe siècle. Dans la lignée de William Beik (Absolutism and Society in Seventeeth-Century France, 1984), J. Bergin dépeint un Louis XIV moins innovateur que continuateur, moins soucieux de «domestiquer» les élites que de coopérer avec elles, et des évêques formant une élite sans cesse plus homogène, comme pour donner corps à la doctrine de l’unité profonde de l’épiscopat, si chère à l’ecclésiologie gallicane.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 18/12/2005 )
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