L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

Le Grand règne
de François Bluche
Fayard - Les Indispensables de l'Histoire 2006 /  27 €- 176.85  ffr. / 1277 pages
ISBN : 2-213-63098-4
FORMAT : 14,5cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Matthieu Lahaye poursuit une thèse consacrée au fils de Louis XIV, sous la direction de Joël Cornette.

L'éclat redonné au Soleil

Longtemps, Louis XIV fut pour les historiens du XIXe siècle ce qu’avaient voulu en faire le duc de Saint-Simon et Fénelon : un être égocentrique, avide de gloire au mépris des intérêts de la nation, guerrier au-delà du raisonnable, «esprit médiocre» (Lavisse), fossoyeur de la monarchie. Il a fallu attendre la moitié du XXe siècle pour que l’université se penche à nouveau sur cette figure ô combien charismatique de notre histoire et redonner quelques éclats à ce soleil terni.

François Bluche fut de ceux-là. Une vie durant, il s’est efforcé de ressusciter le second XVIIe siècle dans tout son exotisme et ses subtilités obscurcies par la Révolution. Il entendait ainsi restituer le sens de la politique menée par Louis XIV. C’est ce que nous permettent d’entrevoir dans toute son ampleur les éditions Fayard en rassemblant dans un seul et même volume quatre œuvres importantes de l’historien : La Vie quotidienne au temps de Louis XIV, sa biographie aujourd’hui célèbre, Louis XIV, complétée par Louis XIV vous parle et Le «mécénat» de Louis XIV.

Dans sa biographie publiée une première fois en 1986, François Bluche renoue avec le projet de Voltaire d’une histoire totale. L’enfance du roi pendant la Fronde ainsi que son règne personnel nous sont présentés au plus près des sources du temps : mémoires, journaux et sources manuscrites. La très importante bibliographie mobilisée permet à cette étude de tracer à la fois les grandes lignes d’un règne de plus de soixante-douze ans sans oublier les anecdotes signifiantes sur celui qui devait devenir au fil des ans l’archétype du roi absolu. Servi par un style alerte, parfois patriotique, l’auteur prend quelquefois le risque de fabriquer une légende dorée même s’il reconnaît que la plus grande erreur politique du roi fut la guerre de Hollande (1672-1678) et la plus mal à propos de ses décisions, la révocation de l’édit de Nantes (1685).

Parce que l’action d’un homme est toujours un compromis entre sa volonté et la société dans laquelle il vit, il est nécessaire pour saisir le feuilletage d’un être de comprendre son époque. Un tableau saisissant nous en est donné par La Vie quotidienne au temps de Louis XIV grâce à des entrées aussi bien choisies que nourries de connaissances précises : Paris, le grand âge dévot, la vie des humbles, le monde des manants..

Mais l’œuvre la plus originale rééditée est incontestablement ce petit opuscule, Louis XIV vous parle, où l’historien s’amuse, avec un art averti du commentaire, à compulser toutes les paroles connues du roi. Il tord d’abord le cou aux légendes. Le roi n’a jamais dit en 1655 «l’État c’est moi» encore moins lors de la défaite de Ramillies «Est-ce que Dieu aurait oublié ce que j’ai fait pour lui ?». Par contre, sur son lit de mort, il est à peu près sûr que Louis XIV ait dit : «Je m’en vais mais l’État demeurera toujours», ce qui souligne son obsession pour la permanence des institutions et la défense des intérêts supérieurs de l’État. D’autres encore permettent de pénétrer plus avant sur ce qui nous échappera toujours : la psychologie du roi soleil. L’on savait déjà qu’il se composait une mine digne d’un roi avant de paraître en public, mais il nous échappe souvent que Louis XIV ait pu être l’auteur de bagatelles, d’impromptus comme en ce jour où, pressé de partir à la chasse, il congédie ses ministres avec ce quatrain surprenant :

Le conseil à ses yeux a beau se présenter,
Sitôt qu’il voit sa chienne il quitte tout pour elle ;
Rien ne peut l’arrêter
Quand la chasse l’appelle.


Celui qui de bonne foi voudra éclaircir ses connaissances sur ce moment privilégié de notre histoire trouvera tout à sa portée dans cet imposant volume. Il aura le loisir de le compléter en se plongeant dans Le Dictionnaire du Grand Siècle, somme dirigée par François Bluche et republiée récemment également par les éditions Fayard. Il reste que ce sont des livres écrits dans les années 1980 et que ces vingt dernières années furent riches d’études novatrices sur Louis XIV. Ce fut le cas avec Jean-Christian Petifils (Louis XIV) et très récemment avec Olivier Chaline (Le Règne de Louis XIV) qui dans un très volumineux ouvrage présente le bilan historiographique le plus récent sur la question. Ils viendront compléter les analyses de François Bluche, mais certainement pas les minorer.

Matthieu Lahaye
( Mis en ligne le 30/11/2006 )
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