L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Moderne  

La Folle liberté des baroques - 1600-1661
de Jean-Marie Constant
Perrin 2007 /  21 €- 137.55  ffr. / 321 pages
ISBN : 978-2-262-02011-8
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm

L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions d’histoire des religions et d’histoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages d’initiation portant notamment sur le Moyen Age et sur l’histoire de l’art.

Autour de Louis XIII : une autre lecture

Le responsable du titre de cet ouvrage est-il l’auteur ou l’éditeur ? Une expression sans doute percutante, mais qui ne rend guère compte, malgré la précision des dates dont elle est suivie, de la substantifique moelle du propos. De quoi s’agit-il ? Il convient d’abord de s’entendre sur ce qualificatif de baroque : J.-M. Constant analyse ici des événements politiques, des faits de mentalité, vécus en France, au long des dernières années du règne de Henri IV, de la régence de Marie de Médicis, du règne de Louis XIII et, plus rapidement, de la minorité de Louis XIV. Nous sommes donc dans un cadre géographique et chronologique resserré, que d’aucuns qualifieraient de déjà «classique», caractérisé par un dénominateur commun : la nécessité, érigée en règle de vie, de vivre libre.

Le propos se développe de façon structurée à travers les trois grandes divisions du livre : une analyse des sensibilités telles que les vivaient, en idéal et en actes, les nobles de ce demi-siècle, et leur traduction dans la vie politique, avant et à partir du règne personnel de Louis XIII. On ne peut admettre la lecture que fait l’auteur des événements politiques si l’on ne souscrit pas, en postulat, à son approche, volontairement «pluridisciplinaire et anthropologique», des acteurs de cette histoire. En d’autres termes, ce livre est une clé de lecture, ou encore un filtre à accepter tel quel.

Acceptons-le donc. D’autant que la première partie de l’exposé, une étude de mentalité, finement menée, analyse comment les gentilshommes, les seuls personnages qui comptent dans cette Histoire, sont essentiellement mus par un commun refus de toute contrainte ; la seule valeur qui compte, c’est celle de l’honneur, l’honneur que l’on se doit à soi-même, l’honneur que l’on doit à ses amis et auquel on ne peut être fidèle que dans une totale indépendance. Une authentique tyrannie en fait, mais choisie et considérée comme la seule règle de vie valable. Nulle frivolité dans l’exercice de cette vertu, mais une forte exigence qui conduit tout naturellement au mépris de toute règle ‑ politique, morale, religieuse ‑ et qui trouve son couronnement dans la «belle mort», au combat, ou sur l’échafaud, ultime défi à des règles refusées précisément parce qu’elles sont des règles. Pures incarnations de cet idéal, les personnages, historique de Bouteville bravant l’interdiction des duels, fictif de Dom Juan rejetant toute autre règle que celles qu’il a choisies. Et les héros que cette société reconnaît sont des personnages qui ont volontairement choisi la mort plutôt que d’accepter un sort imposé : Didon, Cléopâtre, Lucrèce.

Car les femmes partagent, impulsent même cette façon de vivre. Et J.-M. Constant trouve sans peine les actrices qui viennent étayer sa démonstration. Dans un va-et-vient original (souvent convaincant) entre d’une part littérature et expression picturale, d’autre part action politique, il offre une interprétation originale du rôle de Marie de Médicis. Elle incarne, démontre-t-il, la nouvelle Astrée, à l’image de cette reine idéale dont le si célèbre en son temps roman d’Honoré d’Urfé a exalté les vertus. Le programme iconographique des tableaux commandés à Rubens par la régente met soigneusement en valeur ses qualités et ses actes. D’où une lecture contraire à celle que fait la tradition historique : ce sont la conduite immorale et l’esprit conciliant d’Henri IV, pas si «bon roi» que cela, qui ont attisé le tyrannicide. (Mais pourquoi ne lui reconnaît-on pas le droit de vivre à sa façon sa liberté ?) Au contraire la régence de son épouse est vécue comme un «bon temps». L’arrivée de Richelieu n’est rien d’autre que le retour de «Polémas», le seigneur brutal et ambitieux du roman. L’épisode de la Journée des Dupes, la personnalité de la duchesse de Chevreuse sont présentés comme des parfaites illustrations de «l’esprit baroque» tel que l’envisage l’auteur de l’ouvrage. La cour entretenue autour de lui par Gaston d’Orléans, où se côtoient stoïciens, dévots et libertins, apparaît comme l’espace même où se déploie la liberté baroque.

On multiplie les exemples d’une telle lecture des événements politiques, religieux et culturels du demi-siècle envisagé. Que l’on admette ou non le filtre par lequel fait passer Jean-Marie Constant, reste que sa démonstration globale, appuyée sur ses travaux antérieurs plus fragmentaires, est d’une originalité puissante. N’y a-t-il pas une part de subjectivité dans toute interprétation, et n’est-ce pas à travers des regards neufs que se développe la réflexion historique ? La Folle liberté des baroques, servie par une méthode solide et érudite, ouvre bien des perspectives.

Jacqueline Martin-Bagnaudez
( Mis en ligne le 28/04/2007 )
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