L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

A l'école de l'Action française - Un siècle de vie intellectuelle
de François Huguenin
Lattès 1998 /  24.27 €- 158.97  ffr. / 637 pages
ISBN : 2-7096-1765-X

Comment peut-on être monarchiste ?

Comment peut-on être monarchiste en France au XXe siècle ? Comment expliquer que, en dépit de l'indiscutable enracinement de la République, l'idée du retour d'un roi sur le trône des Capétiens ait constitué l'idée directrice de l'une des plus influentes école de pensée de la première moitié du XXe siècle ? Voici la question à laquelle François Huguenin s'efforce de répondre dans le livre qu'il consacre aux idées de Charles Maurras, ses disciples et ses héritiers.

Assurément, voici un livre utile, tant l'opprobe qui est tombée sur l'Action française et son inspirateur en raison à la fois de son antisémitisme et son vichysme, avait fini par en faire un modèle-repoussoir, aussi mal connu que souvent cité. Et pourtant, en dépit de l'insuccès de quelques tentatives politiques directes, voici un mouvement qui a vraiment fait école dans l'entre-deux-guerres et dont le rayonnement dépassa largement le cercle étroit des militants engagés pour marquer véritablement une génération.

L'auteur nous rappelle dans un premier temps que Maurras conçut une synthèse originale du positivisme d'Auguste Comte, du traditionalisme de Maistre et Bonald, du corporatisme de Le Play et La Tour du Pin, puisant également dans les doctrines de Taine, Renan et Fustel de Coulanges. Rejoignant par là le syndicalisme révolutionnaire, il dénonçait la dictature exercée au nom de la démocratie et appelait à l'insurrection violente, craignant avant tout l'inaction.

Les générations intellectuelles qui se succédèrent sont étudiées les unes après les autres. L'auteur, diplômé de Sciences-Po a systématiquement dépouillé les sources mêmes de la doctrine du mouvement et présente, citations à l'appui, les livres les plus marquants : Dictateur et roi, Enquête sur la monarchie, L'avenir de l'intelligence, pour n'en citer que quelques-uns et les articles de la Revue critique des idées et des livres ainsi que la Revue universelle. Un gros travail, sans conteste, mais dont la présentation est ici quelques peu indigeste, s'apparentant un peu trop à une collection de scolastiques fiches de synthèse insuffisamment digérées. Sans doute était-il trop ambitieux de vouloir présenter un siècle de vie intellectuelle comme une succession d'études ponctuelles. En dépit d'une tentative conclusive, il manque incontestablement une vraie synthèse d'ensemble. Malgré tout, le mérite de cet ouvrage est d'exhumer quelques textes peu ou mal connus et de rappeler combien des auteurs comme Léon Daudet, Jacques Bainville, Thierry Maulnier, Jean de Fabrèges, Massis influencèrent la pensée de leur temps.

Contrairement à une idée reçue, l'apogée de l'Action française doit sans doute être située non pas au moment de la condamnation par le Vatican, mais à la veille de la Première guerre mondiale. La saignée que celle-ci opéra dans les rangs des jeunes militants du mouvement fut telle que jamais, selon Huguenin, elle ne s'en releva vraiment. Perdant une partie de sa substance, le mouvement versa dans une violence purement rhétorique, sans prise sur le réel, se laissant aller à une dérive conservatrice qui, d'ailleurs, provoqua plusieurs dissidences. Georges Valois, Dimier, Bernanos se séparèrent de l'Action française, déçus de son incapacité à changer le cours des choses. C'est, sans doute, dans le domaine de la critique littéraire que cette école s'avéra la plus féconde.

Avec beaucoup de précision, l'auteur explique l'attitude de Maurras pendant la guerre. Inspiré jusqu'à l'aveuglement par le souvenir de l'Union sacré, celui-ci fit de la fidélité au Maréchal Pétain la ligne de force de son attitude, rejetant aussi bien la collaboration que la résistance, faisant preuve d'une germanophobie non moins virulente que son anglophobie, s'enfermant dans des contradictions insolubles.

Après la guerre, l'école éclata en plusieurs groupes, les deux pôles principaux étant constitués par Aspects de la France et La Nation française. A la tête de cet organe, Pierre Boutang (disparu en 1998) entreprit de moderniser la pensée de Maurras, évacuant l'antisémitisme, reconnaissant que le maître, en rejetant dos-à-dos résistance et collaboration par fidèlité au Maréchal, n'avait sans doute pas senti où se trouvaient les forces de renouveau de la nation. La partie la plus novatrice de l'ouvrage concerne sans conteste les années les plus récentes, que l'auteur connaît bien. Les héritiers, au sein notamment de la revue Réaction, continuent aujourd'hui de rejeter la "démocratie totalitaire" et de dénoncer tous ses maux, la publicité, le consumérisme, l'individualisme.

L'auteur, disciple convaincu et militant de l'école qu'il étudie - il se cite lui-même plusieurs fois -, termine par un vibrant plaidoyer en faveur de cette "pensée traditionnelle", dont il invite les partisans à se serrer les coudes en attendant des jours meilleurs. Il montre clairement, au total, que l'Action française joua le rôle anticonformiste d'empêcheur de penser en rond, refusant les idées dominantes de son temps - l'héritage de la Révolution, le libéralisme, le parlementarisme. Par ses excès même, elle se mit dans l'impossibilité d'agir, brandissant le drapeau blanc de la monarchie comme un recours miraculeux aux maux de la société moderne mais se révélant elle-même incapable d'avoir une prise sur le réel.

Jérôme Grévy
( Mis en ligne le 13/08/2001 )
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