L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Histoire de l'armée française de 1914 à nos jours
de Philippe Masson
Perrin 1999 /  24.27 €- 158.97  ffr. / 508 pages
ISBN : 2-262-01073-0

Des Croix de bois au désert des Tartares ?

Ancien chef de la section historique du Service historique de la Marine, professeur d'histoire et de stratégie à l'École supérieure de guerre navale de 1964 à 1993, Philippe Masson ajoute, parmi les récentes parutions d'ouvrages concernant l'histoire militaire de la France, cette Histoire de l'armée française de 1914 à nos jours. L'auteur se livre à une étude synthétique, en dix-huit chapitres - dans le style clair et concis qu'il affectionne particulièrement abordant chronologiquement l'une des périodes les plus complexes de l'institution militaire française.

L'armée française se prépare depuis 1870 à prendre sa "Grande Revanche". Les événements de juillet 1914 et l'engrenage des alliances conduisent à la Première Guerre mondiale. L'armée française, structurellement et matériellement inadaptée, a bien failli périr dans les tourments de la première guerre industrielle de son histoire. Livrée à l'impéritie de certains grands chefs et à des conceptions stratégiques et tactiques obsolètes et erronées, l'armée française ne tient qu'au prix de pertes démesurées et ne doit son salut qu'à l'action énergique de quelques
généraux d'exception, comme Gallieni. L'effort d'adaptation de cette armée à une guerre de position meurtrière se fait au prix du massacre de l'infanterie fournie par les gros bataillons de la conscription et d'une crise morale sans précédent qui atteint son paroxysme lors de la vague de mutineries de 1917. Si l'apparition et les conceptions d'emploi des armes nouvelles comme les blindés, l'aviation ou les armes chimiques nesont ici que rapidement évoquées, l'évocation du fonctionnement de lalogistique, des services de l'arrière et du service de santé est particulièrement intéressante.

L'armée française, victorieuse en 1918, devient une puissance de façade au cours de l'Entre-deux-guerres. Elle est confrontée au pacifisme ambiant dû au traumatisme causé au sein de la population par l'effroyable proportion des pertes de la "der des der", et à de coûteuses guerres sur les théâtres d'opérations extérieurs. On regrette seulement que ne soient pas davantage abordés les problèmes structurels de l'institution, dont la réorganisation entre 1919 et 1939, n'est qu'un gigantesque chantier.

La Deuxième Guerre mondiale occupe une grande part de l'ouvrage. Le déroulement du conflit est bien décrit, mais surtout une large place est accordée à la situation ambiguë dans laquelle se trouve l'armée française au lendemain du désastre de mai-juin 1940. Un véritable déchirement s'opère au sein de l'armée et explique l'antagonisme entre les Forces Françaises Libres du général De Gaulle, marginales, et la grande majorité de l'armée qui, si elle a choisi l'obéissance au maréchal Pétain, ne tente pas moins - pour une part - de préparer la revanche.

L'un des points les plus intéressants de cet ouvrage est le regard critique sur l'action et l'attitude de De Gaulle et de ses partisans par rapport à cette armée d'armistice. Certes, l'auteur ne dénie pas le rôle et l'engagement des Français libres dans la lutte contre l'Axe mais il tente de battre en brèche l'idée communément admise et véhiculée par les gaullistes qu'en dehors de De Gaulle, point d'honneur, point de salut. · juste titre, Philippe Masson souligne qu'au cours du second conflit mondial, il n'existe pas une armée française mais plusieurs, tiraillées, hostiles et pour qui la poursuite commune de la guerre ne semble pas aller de soi. Malgré sa participation à la défaite de l'Allemagne et de l'Italie et l'admission de la France au sein des grandes puissances victorieuses, l'armée française renvoie l'image d'une institution fragilisée, hétéroclite, soumise à la bonne volonté de ses alliés et dont les faits d'armes en Tunisie, en Italie, en France et en Allemagne ne lui ont pas permis de retrouver son prestige d'avant-guerre.

A la tête d'un empire colonial intact, dotée d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, participant à l'occupation de l'Allemagne, la France tente de pérenniser son statut de puissance mondiale. L'émergence de la guerre froide entre les États-Unis et l'U.R.S.S., l'obsolescence de son outil militaire - qu'elle n'a pas les moyens de moderniser et d'adapter au contexte international - prouvent rapidement à la France, malgré l'échec provoqué de la C.E.D., qu'elle ne peut plus assurer seule sa défense et qu'au sein de l'O.T.A.N., elle reste soumise aux Etats-Unis.

Le processus de décolonisation, et particulièrement les guerres d'Indochine et d'Algérie, va définitivement reléguer la France au rang de puissance moyenne. Plus encore, ces conflits d'un type nouveau marquent profondément l'armée française. Les aspects révolutionnaires et psychologiques de ces guerres vont amener officiers et soldats français à s'impliquer non seulement sur le plan militaire mais aussi sur le plan politique. Meurtrie par le désastre indochinois, écoeurée par les atermoiements de la IVe République et engagée dans la guerre d'Algérie, l'armée acquiert un poids politique qui prend toute sa dimension dans le rôle qu'elle joue dans le retour au pouvoir du général de Gaulle le 13 mai 1958. L'attitude ambiguë du général quant à l'avenir de l'Algérie, sa volonté de ramener l'armée à sa place d'outil militaire ne font que consommer un divorce déjà latent entre le pouvoir politique et une frange de l'armée. Le putsch raté d'avril 1961 et les soubresauts de l'O.A.S. traduisent la gravité de la crise et le malaise qui s'immisce entre la France et son armée.

Sous l'impulsion du général de Gaulle, la France se dote de l'arme nucléaire et quitte l'organisation militaire intégrée de l'O.T.A.N. ce qui lui confère une place toute particulière dans le contexte de l'affrontement idéologique entre le bloc occidental, mené par les U.S.A., et les forces du Pacte de Varsovie. Du milieu des années soixante à la fin des années quatre-vingt, des unités françaises sont régulièrement engagées sur les théâtres d'opérations extérieurs, en Afrique et au Moyen-Orient, où l'armée sait faire preuve d'une réelle efficacité.

La déliquescence du bloc soviétique et l'apparition d'une nouvelle donne internationale sont le point de départ d'une sévère remise en cause. La guerre du Golfe prouve les carences logistiques et opérationnelles de l'armée française dans le cadre d'un conflit conventionnel. L'expérience des nouvelles missions à caractère humanitaire ou des missions d'interposition sous l'égide de l'O.N.U. entraîne une réflexion sur la participation française à la création d'une réelle politique de défense européenne, voire sur le retour de la France dans l'organisation militaire de l'O.T.A.N.

Face à l'émergence de nouvelles menaces, plus diffuses et imprévisibles, au moment où le système de la conscription fait l'objet de critiques de plus en plus acérées, l'armée française entame une refonte qui entérine le processus de professionnalisation et opte pour la réduction drastique des effectifs. Cette mutation ouvre une période de transition et soulève de nombreuses interrogations sur l'avenir de l'outil militaire français.

L'ouvrage de Philippe Masson atteint parfaitement son objectif de vulgarisation, au prix de quelques approximations inévitables dans cet exercice périlleux. L'image qu'il donne de l'armée française est celle d'une institution ballottée par les conflits et les événements et qui semble subir plus son destin qu'elle ne le maîtrise. En évitant les poncifs et les écueils de débats qui agitent les spécialistes de l'histoire militaire, Philippe Masson offre un bon point de départ au néophyte soucieux d'appréhender les enjeux et les difficultés rencontrés par l'armée française au cours du XXe siècle, si riche en conflits et en bouleversements.

Philippe Alix
( Mis en ligne le 14/08/2001 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)