L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Appelés en Algérie - La parole confisquée
de Claire Mauss-Copeaux
Hachette 1999 /  18.32 €- 120  ffr. / 333 pages
ISBN : 2-01-235475-0

Une mémoire méconnue : la guerre d'Algérie des appelés

Claire Mauss-Copeaux est agrégée d'histoire: dans le cadre de la préparation de sa thèse, elle a été conduite à mener une série d'entretiens avec d'anciens appelés du contingent en Algérie. Ce livre est issu en très large partie de ces rencontres.

Appelés en Algérie soulève de nombreux problèmes méthodologiques. Liés aux autres handicaps dont souffre ce travail, ils conduisent à adopter une position critique largement réservée.

D'emblée, la première limite qui surgit est liée à la constitution du corpus de témoins lui-même. Précurseur en matière d'histoire orale, Philippe Joutard qui a préfacé l'ouvrage, anticipait sur la remarque puisqu'il précise d'emblée que "quelques bons esprits s'étonneront de l'étroitesse du groupe, une quarantaine d'interviewés". Et comment faire autrement ? Avec 39 témoins sélectionnés, il s'agit de couvrir une période s'étendant du mois d'avril 1956 (rappel des disponibles par Guy Mollet) au mois de juillet 1962 (indépendance de l'Algérie).
C'est également un large territoire qu'il convient de baliser ainsi qu'une multitude d'unités militaires. Le seul point commun aux témoins, qui devrait permettre de dégager des observations comparables, est leur localisation géographique actuelle : le département des Vosges. Il ne s'agit donc même pas de leur localisation géographique au moment de leur mobilisation. L'auteur postule à ce sujet que les témoins ont une mémoire particulière de l'Occupation et de la Résistance, les Vosges ayant été très marquées par la Seconde guerre mondiale. Cette mémoire particulière influencerait celle, plus récente, de la guerre d'Algérie. Pourquoi pas ? Est-ce pour autant fondamental ?

Appelés en Algérie est un travail d'historienne. Pourtant, tout au long des pages, l'auteur se place dans une optique très proche de la sociologie. Cela est bien sûr nécessaire, il n'est pas question de nier ici la dimension clairement sociologique du thème abordé. Mais la sociologie a ses règles. Bien plus que l'histoire, la sociologie a recours aux techniques quantitatives. Bien sûr, on ne saurait envisager d'établir des moyennes et des écarts-types, compte tenu du caractère restreint du corpus; toutefois l'auteur aurait dû avoir davantage recours aux quantifications systématiques de ses affirmations. L'ouvrage y aurait gagné en rigueur.
De même, l'auteur reconnaît avoir eu recours à diverses techniques d'entretien: le récit de vie et le questionnaire notamment. La diversité de ces techniques ne risque-t-elle pas de brouiller davantage l'analyse ? N'aurait-il pas été plus profitable d'adopter une technique unique et médiane comme l'entretien semi-directif ?

L'aspect le plus gênant de l'ouvrage se manifeste lorsque Claire Mauss-Copeaux adopte le point de vue du psychanalyste. La statut de la "psycho-histoire" est encore ambigu, dès lors, l'utilisation répétée de concepts tels que le "travail de deuil", le "travail de mémoire", le "mal-être" ou encore la "mémoire militante" ne va pas sans soulever divers problèmes dans la mesure ou le sens de ces concepts est peu explicité.

Pour ne pas tomber dans le même travers que l'auteur, nous ne nous attarderons pas sur la dimension idéologique de son ouvrage, dont le ton n'est pas sans rappeler le "Manifeste des 121", Les Damnés de la terre de Frantz Fanon et parfois même, la préface qu'avait rédigée Jean-Paul Sartre pour le même Fanon. Présente tout au long de l'analyse, elle nuit inévitablement à l'objectivité du propos. Les analyses réductrices (p. 198 : "la violence de la guerre a fait suite à la violence coloniale et le racisme a permis l'une et l'autre") alternent ainsi avec les visions naïves (p. 205 : "les espérances et les rêves de leurs vingt ans ont été balayés par la guerre coloniale").

Que retenir en définitive du livre de Claire Mauss-Copeaux ? Le thème, tout d'abord. Il est en effet indiscutable que celui-ci n'a guère été abordé par les historiens, phénomène largement dommageable à l'historiographie de la guerre d'Algérie. Dans cette optique, le souci de l'auteur de s'y atteler est parfaitement louable. Mais, au regard des défauts méthodologiques, on eut préféré qu'elle se contente d'une présentation comparable à celle adoptée par Pierre Bourdieu et ses collaborateurs dans La Misère du monde. Dans ce dernier ouvrage, tout le discours des témoins est retranscrit : c'est sans doute ce qui fait le plus cruellement défaut dans Appelés en Algérie, compte tenu de l'inefficacité de l'appareil critique.
Et si l'auteur a su avoir recours aux archives du Service historique de l'armée de terre afin de valider certains discours, la multiplication des jugements partiels et partiaux montre combien l'ouverture plus large des archives serait salutaire. En ce sens, la publication par le S.H.A.T. du tome second de La Guerre d'Algérie par les documents est une initiative qu'il convient de saluer.

Guillaume Zeller
( Mis en ligne le 13/08/2001 )
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