L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Alger 1940-1962 - Une ville en guerres
de Jean-Jacques Jordi et Guy Pervillé
Autrement - Mémoires 1999 /  19.85 €- 130.02  ffr. / 261 pages
ISBN : 2-86260-888-2

Alger, un lieu de mémoire franco-algérien

La collection Mémoires se fixe pour objectif de refléter "l'histoire des idées, des sensibilités, des créations dans le monde au travers des lieux symboles saisis à des moments charnière de bouillonnement ou de rupture". Alger, cité éminemment symbolique, s'inscrit sans nul doute dans cette perspective. On ne saurait nier cependant que l'exemple, s'il est judicieux, n'en est pas moins particulièrement délicat. Carrefour historique, politique, économique, commercial, ethnique, religieux et culturel, Alger interroge et déconcerte. Cette complexité, loin de décourager les auteurs de ce numéro, semble au contraire avoir excité leur appétit d'analyse, de problématique et de synthèse. L'originalité, la rigueur et la richesse de ces travaux sont incontestablement à la hauteur de l'enjeu.

Original, cet ouvrage l'est assurément par sa spécificité locale et par sa transversalité chronologique. La bibliographie consacrée au seul Alger est en effet assez pauvre. Autant Alger peut-être considéré comme un ensemble clos pour la période de la Seconde guerre mondiale (quand cette métropole fut la capitale de la France en guerre), autant une telle restriction géographique n'a guère été abordée pour la période postérieure. Cette étude s'y attelle avec brio. Observer la vie et les évolutions de cette ville pendant l'entre-deux-guerres que fut la période 1945-1954 est évidemment très fécond.

En effet, si la "Toussaint rouge" de novembre 1954 fut essentiellement un phénomène rural, les mutations et les bouillonnements citadins constituent un facteur essentiel dans le déclenchement de l'insurrection nationaliste. De même, l'étude d'Alger pendant la guerre d'Algérie stricto sensu s'avère novatrice: elle permet de comprendre le rôle de la "capitale algérienne" comme centre incontesté du pouvoir civil et militaire, dépouillant Paris de ses prérogatives essentielles, hormis peut-être, et dans une certaine mesure seulement, la nomination des hauts responsables civils et militaires. Résumant cette transversalité, les auteurs ont choisi un sous-titre judicieux : "une ville en guerres".

La rigueur de ce livre, quant à elle, se manifeste tout au long de ces travaux. Rigueur dans la structure. Rigueur dans l'utilisation des sources. Quatre parties chronologiques charpentent l'ouvrage : si ce n'est guère novateur, cela permet en revanche de saisir d'emblée l'articulation des événements algérois et donc, déjà, de commencer à les comprendre. De même, chaque partie, composée d'une synthèse et d'études plus singulières, s'avère des plus pédagogiques. En ce qui concerne les sources, tous les travaux sont fondés sur une bibliographie solide et souvent originale. Mais la véritable valeur ajoutée réside dans l'exploitation d'archives trop méconnues. Les auteurs, Guy Pervillé en particulier, ont en effet dépouillé avec profit une partie des fonds du centre des archives d'outre-mer (C.A.O.M.) consacrés à l'Algérie, et notamment les archives du Gouvernement général de l'Algérie et de la préfecture d'Alger. Ainsi, plus qu'une élégante synthèse, cet ouvrage apporte à l'historien des informations nouvelles.

Il est nécessaire, en dernier lieu, d'insister sur la richesse du livre qui repose tant sur la diversité des thèmes traités que sur les modes d'approche choisis. Si les aspects politiques et militaires sont bien sûr abondamment étudiés, des domaines davantage méconnus sont également abordés. Parmi ces derniers sujets, on peut particulièrement mentionner l'analyse de l'effervescence qui anime l'immigration espagnole au lendemain de la capitulation de 1945, une présentation de la vie culturelle algéroise (francophone ou arabisante) ou encore une réflexion sur les enjeux architecturaux de 1945 à 1962. La multiplicité des approches constitue un des meilleurs atouts de l'ouvrage. Aux synthèses qui permettent une présentation claire du contexte, succèdent des monographies détaillant certains aspects des problématiques (parmi d'autres : l'exclusion des enfants juifs des écoles sous la Révolution nationale, la bataille d'Alger de 1957). Notons aussi la présence de biographies finement choisies (Jacques Chevallier, Monseigneur Duval) et d'un entretien avec José Aboulker, pilier de la résistance algéroise et acteur majeur du débarquement de novembre 1942. Précisons enfin que la diversité des auteurs permet une juxtaposition et un croisement des points de vue très fertiles.

Sans doute est-il inutile de proposer une ultime louange de ce livre. Ajoutons simplement qu'il ouvre à chaque historien des pistes de recherche particulièrement nombreuses. Aussi est-on en mesure d'espérer qu'il saura susciter de nouveaux travaux, tant sur la ville d'Alger proprement dite, que sur les aspects encore méconnus des vingt dernières années de la présence française en Algérie.

Guillaume Zeller
( Mis en ligne le 13/08/2001 )
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