L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

1812 - La paix et la guerre
de Jean-Noël Brégeon
Perrin 2012 /  24.50 €- 160.48  ffr. / 426 pages
ISBN : 978-2-262-03239-5
FORMAT : 14,1 cm × 21,0 cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

Annus horribilis par excellence

«Je tiendrai à Votre Majesté le même langage que j’ai tenu à l’Empereur Alexandre deux jours avant la bataille d’Austerlitz (…). Sire, Votre Majesté sera vaincue ; elle aura compromis le repos de ses jours, l’existence de ses sujets sans l’ombre d’un prétexte. Elle est aujourd’hui intacte, et peut traiter avec moi d’une manière conforme à son rang ; elle traitera avant un mois dans une situation différente». C’est en ces termes tout empreints «d’arrogance, de menaces, de sarcasmes et de fausse sollicitude» (C. Clark) que l’Empereur des Français répondit, en 1806, aux exigences répétées du roi de Prusse Frédéric-Guillaume III de faire «quelque place à l’honneur» de son pays.

Ainsi que le rappelle Jean-Joël Brégeon dans son récent ouvrage 1812. La paix et la guerre, six ans plus tard, la situation n’avait pas sensiblement évolué. La configuration du Vieux Continent demeurait tout à fait favorable à Bonaparte. Sa prééminence avait même été renforcée au gré de ses innombrables victoires militaires. Pourtant, contenant les germes de l’achèvement de l’Empire, l’année 1812 fut un tournant décisif. Alors que le premier semestre ne connut point de «dégradation spectaculaire des relations internationales», hormis la guerre d’Espagne, les tensions liées au blocus des îles britanniques et l’affrontement entre Américains et Anglais dans la région des Grands Lacs, l’Empire s’écroula durant la seconde partie de l’année. A cet égard, l’historien Jean-Joël Brégeon évoque rien de moins qu’un «annus horribilis par excellence».

Pour autant, la chute de l’Empereur et de son système n’avaient rien d’inéluctable. Outre-Rhin, le général Vendémiaire parvint parfois à susciter une sorte d’euphorie. Un temps, saisi par une «sensation merveilleuse», Hegel crut par exemple voir en Bonaparte «l’âme du monde» faisant progresser la marche de l’Histoire. D’après le philosophe allemand, c’est essentiellement par le truchement des «grands hommes», i.e. des «héros», que se réalise l’Universel. «Leur justification, expliqua-t-il au cours de son ouvrage La Raison dans l’Histoire, n’est pas dans l’ordre existant, mais ils la tirent d’une autre source. C’est l’Esprit caché, encore souterrain, qui n’est pas encore parvenu à une existence actuelle, mais qui frappe contre le monde actuel parce qu’il la tient par une écorce qui ne convient pas au noyau qu’elle porte». Le célèbre penseur ne fut pas le seul à être séduit par l’œuvre napoléonienne. Pour des raisons différentes, tel fut également le cas d’un certain nombre de princes allemands, dont le prince Maximilien de Wittelsbach que Bonaparte fit roi de Bavière.

Au fil de cet ouvrage clair et concis, dont les pages consacrées aux grandes figures artistiques, intellectuelles et politiques de l’époque comme Kleist, Beethoven et Goethe sont tout à fait savoureuses, Jean-Joël Brégeon brosse un portrait complet du monde en 1812. Ainsi l’auteur s’appesantit-il tout particulièrement sur l’esprit revanchard de la Prusse, sur la lancinante aporie polonaise ainsi que sur les relations de plus en plus délicates entre l’Empire des Français et son homologue russe à partir de prismes divers. Grand cas est également fait de l’échec de la campagne de Russie. Jean-Joël Brégeon rappelle à cet égard les passionnants souvenirs de Caulaincourt, lequel eut le privilège de voyager en tête-à-tête avec l’Empereur du 5 au 18 décembre jusqu’à Paris.

Annonciatrices de l’effondrement de l’Empire, les conditions de la retraite furent épouvantables. Anatole de Montesquiou, l’un des aides de camp de Bonaparte, rapporte que, dans les environs de Smolensk, il voulut aider des soldats accablés par la faim et le froid. «L’engourdissement, écrivit-il, les prenait debout ; ils continuaient cependant à faire quelques pas, puis ils trébuchaient et tombaient en avant. Une fois à terre, ils ne remuaient plus. Mais un moment encore quelquefois, on entendait leur plainte étouffée. La tête était un peu contractée et baissée, le visage était devenu bleu et les poings fermés se réunissaient violemment vers le creux de l’estomac ; tout le corps avait acquis une invincible raideur. C’est ainsi que l’on mourrait».

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 20/06/2012 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)