L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le Procès du Réseau Jeanson

La Découverte - Textes à l'appui 2002 /  18 €- 117.9  ffr. / 251 pages
ISBN : 2-7071-3694-8

Préfacé et présenté par Marcel Péju

Défaite juridique, victoire politique

La lecture des grands procès politiques est toujours une source précieuse pour les historiens. Fort heureusement pour eux, il est de nombreux cas où la défense ne s’est pas contentée de fournir des avocats aux accusés mais s’est préoccupée de gagner une autre bataille - celle du grand public et de la postérité. Ainsi à l’image des dreyfusards qui, depuis le procès Zola à la fin du siècle dernier, financèrent des sténographes pour pouvoir publier, dans la presse puis en volume, le détail des paroles échangées dans le prétoire, la défense des accusés du procès du réseau Jeanson publia en avril 1961 aux éditions Maspéro le compte rendu du procès, immédiatement saisi par la police.

Cet ouvrage, qui circula clandestinement, est aujourd’hui livré au public. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un compte rendu in extenso, on peut lire en style direct les principaux échanges entre l’accusation, les inculpés et leurs avocats. Pendant quatre semaines, au mois de septembre 1960, une vingtaine de Français et musulmans d’Algérie furent entendus par un tribunal militaire sous l’inculpation « d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat » - accusés en fait d’avoir été, au sein du réseau Jeanson, les « porteurs de valises » du FLN. Ce procès qui eut lieu à Paris il y a quarante ans nous remet en mémoire les années de plomb qui furent celles de la guerre d’Algérie. Il est surtout l’occasion de prendre conscience de la résolution absolue des militants du réseau, revendiquant fièrement leurs actes, tous persuadés de l’inévitable indépendance de l’Algérie, certains s’appuyant même sur les déclarations récentes du général de Gaulle. Le prétoire fut le théâtre d’une très dure bataille entre la défense et l’accusation, le groupe d’avocats soulignant les nombreuses irrégularités de l’instruction et de la procédure, demandant enfin la récusation du président du tribunal militaire. Parmi ceux-là on relève certains futurs grands noms du barreau, Roland Dumas, Gisèle Halimi, Robert Badinter - mais le plus brillant et le plus combatif fut assurément Jacques Vergès.

L’on voit à l’œuvre chez les militants des idéaux et des principes rarement révolutionnaires, plus souvent républicains, et se réclamant de la résistance à l’occupation allemande vingt ans plus tôt. Tout au long du procès, chez les accusés comme chez les très nombreux témoins majoritairement issus du monde enseignant et intellectuel, s’esquisse un autre procès, celui de la gauche parlementaire, en premier lieu la SFIO, accusée de se rallier à l’oppression coloniale. Le PSU s’annonce déjà. Il se manifeste enfin chez nombre d’entre eux le souci des misérables conditions de vie des Algériens musulmans tant en métropole qu’en Algérie. En face d’entre eux, l’on ne peut manquer d’être frappé par la médiocrité des magistrats militaires, maîtrisant mal le code de procédure et surtout incapables de museler la défense qui, renversant la perspective, parvient à faire très librement le procès de la présence française en Algérie. Le procès qui s’acheva par de lourdes condamnations fut en fait une victoire politique qui donna un formidable écho à l’action des soutiens français au FLN.

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 18/04/2002 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)