L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Culture et politique dans la France des Lumières, 1715-1792
de Monique Cottret
Armand Colin 2002 /  23 €- 150.65  ffr. / 256 pages
ISBN : 2-200-26224-8

et :
Robert Muchembled, L’Invention de la France moderne : monarchie, cultures et société, 1500-1660 (Paris, Armand Colin, 2002, ISBN 2-200-25282-X, 272 p., 23 €)


Deux manuels ?

L’histoire politique au sens classique – l’histoire « événementielle » comme on l’appelle pour la rabaisser – renaît peu à peu de son discrédit universitaire des trente dernières années. Mais cette Belle au bois dormant ne sort pas inchangée de son long sommeil. La nouvelle histoire politique s’est enrichie d’un peu d'histoire économique, de beaucoup d’histoire sociale et d’une très grosse ration d’histoire culturelle, qui n’est pas l’histoire des doctrines ou des œuvres mais celle des psychologies ou des pratiques culturelles. Dans tout cela, la narration chronologique reste proscrite, mais les hommes et les idées ont de nouveau voie au chapitre. De l’histoire politique, on arrive donc à l’histoire de la culture politique, des pratiques politiques.

Quelques grands livres ont illustré ce renouveau, mais il reste à le faire passer dans les manuels. C’est ce que tentent les deux ouvrages publiés en même temps chez Armand Colin dans la célèbre collection « U », par Robert Muchembled et Monique Cottret. Un parallèle de ces deux volumes n’est pas inutile : il fait voir que l’expression « histoire de la culture politique » embrasse, selon les auteurs, des réalités fort diverses.

Pour Robert Muchembled, dans L’Invention de la France moderne, ce qui prime, c’est toujours la société. La politique, la « grande culture », ne sont que superstructures légères. Son ouvrage s’ouvre par un portrait du roi de France et de sa cour, des Valois aux Bourbons. Il se poursuit par l’humanisme, arrive au baroque, pour revenir aux domaines de prédilection du maître, la vie quotidienne, les femmes, la fête, la violence, la sociabilité villageoise, les campagnes. Comme il faut bien justifier le titre du livre, on remonte ensuite les degrés de la pyramide sociale après les avoir descendus : voici la justice, le contrôle social, la domestication des provinces, la dynamique de l’absolutisme. Pris séparément, tous les chapitres sont intéressants, et la verve habituelle de l’auteur ne manque pas de faire effet, mais la composition d’ensemble est bien cahotante, qui fait ainsi revenir Rabelais deux fois (chapitre 6 et chapitre 12) et beaucoup de morceaux rappellent de fort près les manuels précédents. Tout cela n’est pas très sérieux et sent la commande expédiée hâtivement.

Culture et politique dans la France des Lumières de Monique Cottret, ouvrage censé traiter un thème voisin, mais un siècle plus tard, obéit à des conceptions entièrement différentes. Quand Robert Muchembled, dans culture politique, voyait surtout culture, Monique Cottret voit surtout politique. Ici, le plan est strictement chronologique : la régence et ses suites, la belle époque de Louis XV, le tournant du règne, le ministère de Choiseul, le règne de Louis XVI, les commencements de la Révolution. Religion, littérature, beaux-arts sont convoqués non pour eux-mêmes, mais pour expliquer ou exprimer les sinuosités de la vie politique. Ici, les analyses sont originales, mais souvent allusives ou singulièrement ardues.

En reposant ces deux volumes de mérite inégal, une même question vient à l’esprit : sommes-nous bien en présence de manuels, c’est-à-dire d’ouvrages de synthèse, destinés à un public commençant et relativement peu averti, comme le format des volumes, leur présentation matérielle et la collection qui les accueille pourraient nous le faire croire ? Il est malheureusement à craindre que les étudiants, s’ils ne possèdent déjà à fond la fameuse « histoire événementielle » et surtout une solide culture générale, ne comprennent ni ne retiennent grand-chose de ces deux ouvrages. Incessamment réédités, un peu vieillis, les livres de François Lebrun, dans la même collection « U », répondent beaucoup mieux à la véritable définition du manuel.
Chronologie, récit, pédagogie : il faudra bien en passer par là pour écrire les manuels de demain, pour donner une véritable diffusion aux acquis récents de la recherche.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 26/05/2002 )
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