L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Une petite ville nazie
de William S. Allen
10/18 - Bibliothèques 2003 /  8.50 €- 55.68  ffr. / 395 pages
ISBN : 2-264-03650-8

Une petite ville nazie

Près de quarante après sa première parution en France, l’étude de William S. Allen longtemps restée indisponible en librairie est à nouveau publiée sous sa forme initiale en édition de poche par 10/18.

On ne peut que saluer cette réédition qui propose à un large public une étude fondatrice sur la montée des partisans de Hitler dans l’Allemagne de Weimar, et leur prise du pouvoir à partir de janvier 1933. Cette monographie présentait à l’époque l’originalité de centrer l’étude du phénomène nazi autour d’une petite ville du nord de la Prusse, Northeim, appelée ici Thalburg par l’auteur, afin de ne pas heurter les esprits, souci caractéristique durant les années 60. On peut considérer, avec le recul, que cette étude ressort du courant historique que l’on appela plus tard dans les années 1970 la micro-histoire.

En effet cette petite ville de 10 000 habitants est ici restituée d’une manière très précise, dans un cadre chronologique particulièrement fin (au jour le jour pour les périodes électorales d’avril et mai 1932), où chaque élément politique, jusqu’au plus anecdotique, est relaté par l’auteur. L’objectif avoué de cette restitution, au plus près des réalités quotidiennes la vie de cette ville, est bien d’illustrer par une perspective localiste dont l’exemplarité est définie en introduction, la globalité des phénomènes politiques, sociaux et économiques qui permettent alors la prise du pouvoir par les nazis.

La mise en perspective des événements et la nature du texte apparaissent toutefois bien marquées par l’époque de sa rédaction. Ainsi l’auteur présente de manière induite la marche au pouvoir des nazis comme un phénomène inéluctable ; or, les travaux de ces vingt dernières années démontrent au contraire que ce caractère irrésistible, issu de la formidable machine de propagande du NSDAP, masquait des difficultés réelles de ce parti, et plus particulièrement les limites de ses alliances jusqu’à 1932. D’autre part, le livre est composé comme un récit chronologique, où la narration des évènements bruts, certes fondamentale, tient lieu d’analyse. Le public est plus habitué, depuis 15 ans, à des analyses transversales ou la perspective comparatiste est le plus souvent mise en exergue.
Les ouvrages de Martin Broszat sur la Bavière (Bayern in NS-Zeit, paru entre 1977 et 1979), celles de Ian Kershaw (L’opinion publique sous le nazisme : Bavière, 1933-1945, traduit en France en 1995), ou plus récemment celui d’Eric Arthur Johnson, La terreur nazie : la gestapo, les juifs et les allemands ordinaires (traduit en 2001, l’auteur centre son étude autour de la ville de Dusseldorf) ont profondément renouvelé les perspectives d’analyse du nazisme effectuées par l’entremise d’études locales.

D’autre part, on ne peut qu’une fois de plus déplorer la pusillanimité des éditeurs français concernant la recherche allemande sur le nazisme. Celle-ci a effectivement été entièrement renouvelée depuis près de 15 ans, quand après les travaux précurseurs de Mommsen et Broszat une nouvelle génération de jeunes historiens sont revenus sur certains aspects méconnus de cette période. De plus, la réunification de l’Allemagne a permis l’accès aux archives du nazisme autrefois conservées en RDA, ce qui a permis de considérables avancées dans la connaissance et l’établissement des faits. Aussi est-il regrettable que les ouvrages de Götz Aly n’aient toujours pas trouvé d’éditeur français, et que seule Liana Lévi ait publié un livre de Christian Gerlach sur la conférence de Wannsee, monographie qui n’a pas, en dépit de ses qualités, produit un bouleversement comparable aux deux études qu’il a consacré en 1998 et 2000 au rôle de la Wehrmacht dans la Shoah, en particulier lors de l’invasion de l’URSS. En fait, seul Dominique Vidal, dans son ouvrage Les historiens allemands relisent la Shoah, a eu l’occasion de présenter aux lecteurs français, par quelques recensions judicieusement choisies, les travaux fondamentaux publiés ces dix dernières années outre Rhin (toutefois, chez un éditeur à vocation scientifique, en l’occurrence, Complexes).

S’il est toujours satisfaisant de pouvoir trouver, en livre de poche de surcroît, les traductions des «maîtres anciens», souhaitons également pouvoir profiter aussi de belles traductions point trop tardives des études contemporaines, à l’instar de la collaboration entre Les Belles Lettres et Christopher Browning.

Philippe Mezzasalma
( Mis en ligne le 24/04/2003 )
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