L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La Guerre censurée - Une histoire des combattants européens de 14-18
de Frédéric Rousseau
Seuil - Points histoire 2003 /  9 €- 58.95  ffr. / 460 pages
ISBN : 2-02-061258-5
FORMAT : 11x18 cm

Ouvrage paru une première fois en 1999 (Seuil).

L'auteur du compte rendu: Sébastien Laurent, agrégé et docteur en histoire, est maître de conférences à l’Université Bordeaux III et à l’IEP de Paris. Chargé d’études au Service historique de l’armée de terre, il consacre ses recherches depuis plusieurs années aux services de renseignements militaires et policiers aux XIXe et XXe siècles. Il est le fondateur de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com.


De la boue, du sang et des larmes…

L’histoire des guerres se renouvelle et celle de la Première Guerre mondiale est entrée depuis près d’une dizaine d’années dans une nouvelle ère. La perspective ouverte par des historiens comme Georges L. Mosse, John Keegan, ou Paul Fussel est de considérer la guerre non plus sous son angle militaire, diplomatique ou politique mais dans une perspective essentiellement culturelle. Annette Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau ont consacré un livre à la notion de «culture de guerre» (1914-1918, retrouver la guerre, Gallimard, 2000) qui trouve un écho muséal à l’Historial de Péronne. La réussite de cette nouvelle approche de la Grande Guerre est symbolisée par le fait qu’elle inspire la question d’agrégation mise au concours pour les années 2003-2005.

A la suite des historiens de la «culture de guerre», Frédéric Rousseau cherche dans ce livre à essayer de comprendre quelle fut la nature du «consentement» des soixante-dix millions de mobilisés. La guerre censurée est un livre à thèse dirigé contre ce que F. Rousseau appelle «l’école du consentement patriotique». Pour mener sa réflexion l’auteur a choisi comme matériau 68 témoignages de combattants européens tirés de genres très divers (journaux intimes, correspondance, écrits littéraires…etc). Le projet étant de comprendre comment les soldats combattants ont vécu l’inimaginable souffrance de cette guerre, seuls les écrits des combattants réels ont été pris en compte. F. Rousseau cherche à se situer au plus près de la guerre telle qu’elle a été vécue et la tentative est à cet égard réussie. En revanche d’un point de vue méthodologique, le lecteur est abandonné à ses interrogations : l’auteur aurait dû expliquer précisément les raisons qui l’ont poussé à choisir ces témoignages particuliers plutôt que d’autres. Il est malheureusement tout aussi discret sur une question majeure au regard de ses sources, celle de l’utilisation des témoignages en histoire. F. Rousseau cite rapidement le grand oeuvre de Norton Cru aujourd’hui si discuté et auquel il vient par ailleurs de consacrer un ouvrage (Le procès des témoins de la Grande guerre, Seuil, 2003). Le lecteur reste à cet égard sur sa faim.

C’est la guerre vécue qui est présentée, fort éloignée de la propagande et des visions reconstruites après la guerre. L’on y voit les soldats avouer ou confier leurs peurs, leurs angoisses et leurs souffrances. Rien n’est épargné dans cette présentation naturaliste de la guerre et aucun historien ne peut se plaindre de cette vision nouvelle de la guerre à l’opposé des stéréotypes héroïsant longtemps dominants. L’auteur montre des combattants abrutis par les ordres, l’alcool et la peur de la justice militaire, obéissants plutôt que consentant et qui tiennent le choc de la guerre entourés par la chaleur de la «petite nation des copains». Cette thèse de l’obéissance plutôt que du consentement est séduisante à défaut d’être toujours convaincante en raison de l’absence d’éclaircissements méthodologiques.

Un des apports indiscutables de l’ouvrage est de mettre l’accent sur «l’oppression militaire» dont les soldats sont les victimes au front et il tire des conclusions très intéressantes sur l’imperfection du drill militaire dans la mesure où le soldat, dans cette guerre aux formes nouvelles, se trouve souvent physiquement isolé, à distance d’officiers très souvent tués. Par ailleurs là où de nombreux historiens, à commencer par A. Becker, ont vu dans la guerre un retour à la foi, F. Rousseau n’y voit qu’un vague retour de la religiosité. On le comprend, ce livre milite à la fois pour une nouvelle vision, réaliste, de la guerre tout en se distinguant et s’opposant assez nettement à la floraison de travaux nés autour de l’équipe internationale de Péronne. A ce propos, l’intérêt de la réédition tient au fait que l’auteur dans une préface inédite revient sur la réception de son livre en 1999-2000. Il en modère le ton naturaliste et revient sur la notion de «consentement» en évoquant l’idée d’un «faisceau de facteurs» intégrant désormais le patriotisme quoique dans un rôle mineur par rapports aux autres éléments présentés tout au long de son ouvrage.

Sébastien Laurent
( Mis en ligne le 12/11/2003 )
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