L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

La France et ses paysans - Une histoire du monde rural au XXe siècle
de Pierre Miquel
L’Archipel 2004 /  21.50 €- 140.83  ffr. / 344 pages
ISBN : 2-84187-270-X

L'auteur du compte rendu : Ingénieur Agronome diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Rennes, Frédéric Suffert est chercheur à l'Institut National de la Recherche Agronomique depuis 2000. Spécialiste en épidémiologie végétale et protection des cultures contre les maladies telluriques, il prépare actuellement une thèse de doctorat en formation continue.

Un siècle d'acteurs sur la scène agricole française : du paysan à l'exploitant

Le dernier ouvrage de l'historien Pierre Miquel, La France et ses paysans, est une réalisation à la fois très documentée et relativement digeste, car fruit d'un savant équilibre entre exemples et généralités. Le livre ne dresse aucun portrait et se fait pourtant l'écho de chaque paysan qui aurait pu travailler en France entre 1900 et 2000. Il fait l'analyse, sous l'angle historique, de l'évolution du monde agricole français du début du siècle dernier à nos jours : tantôt proche du paysage ou de la scène de travail issue du monde paysan, Pierre Miquel retrace l'histoire à la manière d'un peintre, avec le souci du détail qui permet de comprendre. A mi-chemin entre vie privée des cultivateurs et chronique historique de la paysannerie, il ne s'éloigne jamais véritablement des deux. Se plaçant à plusieurs reprises dans la lignée de l'Histoire de la France rurale de Georges Duby et Armand Wallon, il tire profit de situations concrètes du monde rural - conséquences de décisions privées d'un agriculteur ou de décisions publiques d'un ministre - pour expliquer les bouleversements économiques, sociaux et politiques d'une époque révolue. Tout se tient, tout s'explique.

La situation agricole au début du siècle, puis pendant l'entre-deux-guerres, marque les deux premières parties de l'ouvrage. «En 1900, la France apparaît comme le pays le plus équilibré d'Europe sous le rapport de la répartition de la population entre villes et villages, celui où la densité d'occupation du sol est harmonieuse, sans excédent dangereux sur aucun terroir». Ainsi commence le livre. La suite est une profusion d'exemples, d'illustrations, de références historiques, géographiques et agronomiques qui en font la richesse. Dans les années 1910-1920, le transport des récoltes et des engrais se fait encore au rythme des charrettes; on défriche à la pelle et on épierre à la main autour de fermes, tandis que l'industrieux Vilmorin révolutionne la sélection des semences… Un chapitre est consacré à la crise des années 1920, la Seconde Guerre mondiale et les évolutions qui ont marqué l'agriculture du siècle : exode rurale, réforme institutionnelle de la profession, mesures politiques…

Le productivisme des années 50 et ses avatars, remembrement, révolution du crédit, mécanisation de la production, intensification, élaboration du marché commun, ont conduit à de profondes mutations, nécessaires mais parfois douloureuses : innovation dans les méthodes de culture, constitution d'organisations professionnelles et de coopératives, réforme de l'enseignement agricole et politiques de recherches publiques, restrictions et droits de douane… L'agriculture savante prend définitivement le pas sur les archaïsmes et, plus les marchés se restreignent, plus on sent la nécessité d'augmenter la productivité des exploitations. «Moins de vaches, mais plus fécondes. Moins de veaux, mais plus vite nourris et vendus».

Le dernier tableau de l'agriculture française rime avec révolution génétique, scandales alimentaires, principe de précaution, engouement pour le "bio", protection de l'environnement… Cette fin de XXe siècle aura été pour le monde paysan celui de toutes les craintes et déraisons malgré des prises de conscience réussies et un réajustement des échanges entre monde citadin et monde rural. «A l'heure où la France n'a jamais eu si peu de paysans dans son espace rural, un système de regroupement des terres s'est développé à la faveur des domaines de plus de 100 hectares». L'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un nouveau défi, celui de la mondialisation - au péril de son âme, ou de sa productivité. Des pesticides dans la chaîne alimentaire à l'affaire de la vache folle, de l'appel lancé par le scientifique et sociologue René Dumont sur le problème agricole français au message du syndicaliste José Bové pour lequel le monde n'est pas une marchandise, Pierre Miquel a su s'entourer, en tant qu'historien, des références et des analyses justes, qui retracent les vérités tout en s'éloignant des modes.

La France et ses paysans n'est ni un essai historique ni une monographie de l'agriculture française. Un regret que l'on pourrait formuler est que la mondialisation est réellement abordée comme une situation récente : la place de la France agricole dans l'Europe et au cœur de certains mouvements internationaux au cours du siècle dernier n'est que rarement évoquée… Certaines prises de positions auraient pu se faire l'écho d'autres, célèbres, tel Le printemps silencieux de l'américaine Rachel Carlson (1962), fondatrice du mouvement écologiste moderne, ou faire référence à des scientifiques étrangers qui ont œuvré pour l'agriculture d'autres nations.

Quelques photographies en noir et blanc viennent illustrer l'ouvrage et renvoient une certaine humanité au livre dans lequel on retrouve la réflexion d'un enseignant historien. Il est une évidence que Pierre Miquel, passionné d'histoire, disposait de connaissances panoramiques sur le XIXe siècle et d'une grande sensibilité face aux réalités agricoles.

Frédéric Suffert
( Mis en ligne le 26/04/2004 )
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