Histoire & Sciences sociales
Période Contemporaine de Jean Vigreux
PU Dijon 2005 / 16 €- 104.8 ffr. / 106 pages
ISBN : 2-915552-12-6
FORMAT : 15x23 cm
L’auteur du compte rendu : Philippe Poirrier est maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire culturelle de la France, notamment L’Etat et la culture en France au XXe siècle (LGF, 2000), Affaires culturelles et territoires (La Documentation française, 2000), et L’Invention du patrimoine en Bourgogne (Eud, 2004).
Pétain dans les vignes
Au printemps 1942, le Département de Côte-d’Or fait don d’une vigne des Hospices de Beaune au maréchal Pétain. C’est cet épisode, qui peut sembler au premier abord anodin, qu’invite à revisiter cet ouvrage. Auteur d’une biographie politique de Waldeck Rochet (La Dispute, 2000), co-directeur du volume collectif Vignes, vins et pouvoirs (Editions universitaires de Dijon, 2001), Jean Vigreux propose une analyse fine d’un événement qui permet de mesurer l’imbrication entre le local et le national, entre la vigne et la politique.
Dans une première partie, sont examinées les logiques qui ordonnent ce don d’un clos au chef de l’Etat français. L’initiative émane de la préfecture et est relayée par les notables locaux. Le maire de Beaune, Roger Duchet, soutient l’initiative et obtient l’unanimité du Conseil d’Administration des Hospices. Ce «cadeau du terroir» participe à la mise en scène d’un monde rural particulièrement valorisée dans l’idéologie de la Révolution nationale.
La seconde partie est consacrée aux mises en scène qui entourent ce don à Philippe Pétain d’une partie du prestigieux vignoble beaunois. La cérémonie du bornage, qui se déroule en mai 1943, est l’occasion d’associer les notables locaux et la jeunesse autour d’une cérémonie fortement colorée par la symbolique maréchaliste : la francisque est présente sur les bornes, les grilles sont forgées au nom du Maréchal Pétain.
Jean Vigreux examine ensuite la valorisation économique du clos. La vigne est entretenue avec soin, comme l’un des joyaux du domaine. En 1943, les vendanges bénéficient d’une large couverture de la presse et participent de la propagande du régime. Les étiquettes des bouteilles du vin produit confirment l’inscription du clos au sein du culte maréchaliste : la ligne graphique particulièrement soignée n’oublie pas la francisque et les étoiles du bâton du maréchal. Philippe Pétain recevra à plusieurs reprises des bouteilles provenant de son clos.
Une dernière partie envisage la postérité du don après la libération de Beaune en septembre 1944. Le don devient un des éléments à charge de la municipalité. Le clos perd son bornage, ses grilles et son nom. Face à une gauche divisée, Roger Duchet retrouve pourtant bien vite son pouvoir local et devient une figure nationale des indépendants. Il parvient à minimiser son rôle pendant l’Occupation. Le clos redevient la propriété des Hospices et disparaît des annales locales : l’amnésie l’emporte durablement.
L’ouvrage de Jean Vigreux constitue une nouvelle pièce à l’histoire de l’agrarisme de Vichy. Il démontre aussi le rôle essentiel des notables locaux dans la réception du régime. Ici l’esprit de la Révolution nationale est encore bien présent en 1943. Le Clos est désormais un objet d’histoire. L’analyse de la réception du livre à Beaune permettra assurément d’écrire un nouveau chapitre à cette histoire ô combien révélatrice des imbrications entre le culturel et le politique.
Philippe Poirrier
( Mis en ligne le 14/04/2005 )
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