L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Les Armes retournées - Colonisation et décolonisation françaises
de André Nouschi
Belin - Histoire & société 2005 /  29 €- 189.95  ffr. / 447 pages
ISBN : 2-7011-3979-1
FORMAT : 15,5 x 24 cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.

Affres du colonialisme

Alors qu’une loi ose indiquer aux enseignants comment présenter l’histoire de la colonisation en insistant sur ce qu'en seraient les aspects bénéfiques, toute opposition est bonne à prendre, et André Noushi, dans son ouvrage, se dresse clairement contre la vision positive de l’œuvre de colonisation.

Son livre vient rappeler combien la conquête, la domination puis la décolonisation ont été des temps de massacres et de violences, combien la colonisation ne s’est révélée positive que pour les colonisateurs (et encore…) mais en aucun cas pour les colonisés, et combien la logique coloniale est encore à l’œuvre dans les relations entre la France et son ancien empire.

L’ambition de l’ouvrage est chronologique et géographique : il aborde les relations de la France avec tout son empire (africain, asiatique), des débuts de la colonisation algérienne aux relations néo-coloniales actuelles. Il ambitionne également de présenter le double point de vue colonial et colonisé, et d’aborder les histoires économique, politique, sociale, culturelle de la colonisation. Le projet est tenu, mais au prix – inévitable – de synthèses parfois rapides, ou de comparaisons hâtives entre les zones de l’empire.

L’originalité de l’ouvrage tient dans son plan qui refuse l’approche chronologique, du moins dans ses grandes parties et se structure autour de thèmes à l’ordre interchangeable. Le premier chapitre est une présentation des sociétés et des états précoloniaux, soit de ce que la colonisation va bouleverser en profondeur au mépris de ces réalités, niées le plus souvent et rejetées au nom d’une conception tout occidentale de la civilisation. Le second chapitre pose la question des décisions politiques qui ont conduit à la conquête, à la colonisation puis à la décolonisation, ainsi que celles qui président de nos jours à la «coopération technique et culturelle», soit la question de la cohérence, de la continuité, ou plus simplement de l’existence d’un projet colonial de la France. C’est surtout l’occasion de rappeler les causes politiques et économiques de l’impérialisme français et de suivre, chronologiquement, les grandes phases de l’histoire coloniale française. Le troisième chapitre traite des aspects plus administratifs de l’entreprise coloniale, tout à la fois l’administration centrale et l’administration locale.

Le chapitre suivant aborde la question de la place de la colonisation (et comme toujours de la décolonisation comme du néo-impérialisme) dans les relations internationales, où comment la France, en raison de sa politique coloniale, a été amenée à s’opposer aux autres grandes puissances. On retrouve là présentées de manière descriptive les affaires bien connues qui témoignent de l’appétit impérialiste des grandes puissances européennes, puis les enjeux de l’Empire dans le monde bipolaire de la deuxième moitié du XXe siècle. Le chapitre 5 est le chapitre économique de l’ouvrage, où l’on décline les réponses à l’affirmation de Lénine sur l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme, mais où l’on relativise aussi clairement ce que seraient des effets économiques bénéfiques de la colonisation dans les espaces colonisés. Chapitre social ensuite, sur les sociétés coloniales et les sociétés de l’indépendance, avec une approche fort classique des mondes ruraux et urbains, des nouvelles élites et des difficultés actuelles. Cultures et civilisation au chapitre 7, qui aborde les questions religieuses, l’œuvre scolaire française, traite de l’acculturation issue de la colonisation mais aussi de la fascination qu’a pu exercer l’Empire sur la production artistique française. Le dernier chapitre est consacré aux violences, de part et d’autre, celles des premières armes aux mains des colonisateurs, celles des «armes retournées» (le titre est ainsi justifié) des colonisés contre leur occupant.

Le projet est donc vaste, l’ambition scientifique et polémique louable, mais le résultat est un peu décevant. On regrettera d’abord que Nouschi se pose dans son introduction en «leveur de tabou», chevalier solitaire de la véritable histoire de la colonisation, quand on connaît l’importance de l’historiographie récente sur tous les thèmes qu’il feint d’aborder seul contre tous. Rien de ce qu’il écrit n’a déjà été dit, traité, analysé. On regrettera ensuite un style qui procède souvent par accumulation de questions polémiques, intéressantes mais trop souvent de pure forme. On regrettera enfin qu’en dépit des problématiques annoncées, les chapitres tournent souvent à une présentation factuelle et descriptive de la réalité coloniale.

Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 24/11/2005 )
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