L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le Cri du Peuple - 22 février 1871 - 23 mai 1871
de Maxime Jourdan
L'Harmattan 2005 /  25.50 €- 167.03  ffr. / 306 pages
ISBN : 2-7475-8405-4
FORMAT : 13,0cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France (2004), Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque".

La revue d'un événement, le Cri de l'Insurgé

Les mérites scientifiques de l'étude des revues ne sont plus à démontrer (cf. Michel Leymarie, Jean-Yves Mollier et Jacqueline Pluet-Despatins (dir.), La Belle Epoque des revues 1880-1914, Editions de l'IMEC, 2002). Lieux d'ébullition intellectuelle et de sociabilités non moins dynamiques, les revues sont ces miroirs d'une époque, d'un milieu, d'une vie, tremplins de carrières intellectuelles, artistiques ou politiques, universitaires aussi. Dans le renouvellement de l'historiographie intellectuelle et culturelle des vingt dernières années, les revues sont devenues cet objet d'étude, aux croisements de l'histoire des idées, de l'histoire des intellectuels, de l'histoire sociale enfin. Là où les idées et les hommes dansent un tango subtil, celles-là orientant les parcours de ceux-ci et les stratégies de ces derniers pouvant induire le repositionnement des engagements et des messages. Les revues sont des pions agités au sein de champs turbulents...

Avec l'étude de Maxime Jourdan, tirée de son mémoire de maîtrise, c'est à la Commune et à l'un de ses media les plus emblématiques que l'on s'intéresse. Un événement – du 18 mars au 28 mai 1871 – et une revue, Le Cri du Peuple, qui s'y confond, corps et âmes : du 22 février au 23 mai. Certes, l'agitation parisienne des suites de la guerre franco-prussienne et un combat contre le Second Empire remontant bien plus loin encore, ont suscité un intense bouillonnement d'idées. Avec 90 revues environ, la Commune ne fut pas que cet imbroglio social et politique. Mais Le Cri du Peuple - 100 000 numéros au plus fort de son tirage et une personnalité comme Jules Vallès à sa tête - sort du lot.

Maxime Jourdan nous en décrit donc la vie et le fond, attentif à la fois à la restitution des idées, au souci de la chronologie, et à la vie qui fit naître, se déployer et mourir cette revue éphémère, certes, mais point oubliée. Et la tâche est ardue pour l'historien, qui achoppe sur le manque de sources ou leur mutisme ; qu'il s'agisse des jugements des conseils de guerre, des dossiers de police, des demandes de grâces, ou encore des correspondances et souvenirs des contemporains, le constat semble s'imposer : «Nous ignorons presque tout de la vie interne du quotidien» (p.15). Tout comme du lectorat. Dommage... Reste alors la revue elle-même, lue et épluchée au fil des journées révolutionnaires. L'approche est donc chronologique et la teinte, de fait, relève plus de l'histoire des idées, textes à l'appui, que de celle des intellectuels. Au fil des pages, nous apprendrons donc en quoi Le Cri du Peuple joua un rôle dans la Commune (l'événement tout comme l'assemblée politique) et en fut emblématique.

Sans doute inspirée de La Voix du Peuple de P.-J. Proudhon, la revue naît donc en février 1871 autour de Jules Vallès dont la réputation d'écrivain et de journaliste est alors faite et installée, celle de trublion aussi ! Autour de lui, six rédacteurs principaux : Henri Bellenger, Eugène Vermersch, Casimir Bouis, Jean-Baptiste Clément, Henri Verlet et Louis Lucipia, tous soudés par une commune haine du Second Empire (haï jusqu'à la Corse, vilipendée dans les colonnes de la revue !), par une commune opposition à la guerre contre la Prusse (mâtinée néanmoins d'un très jacobin réflexe de défense nationale), un républicanisme fédérateur (puisant aux mythes révolutionnaires, 93 comme point de départ et 48 comme réactivant historique), patriote, social, etc. L'analyse des articles dévoile ces traits d'union idéologiques, raffermis au fil des journées. Ce républicanisme social se divise néanmoins sur les conceptions du socialisme : «le socialisme du journal est un curieux syncrétisme, un savant mélange de thèmes sans-culottes issus de la Révolution française et de propos préfigurant à maints égards le socialisme moderne» (p.53), explique l'auteur. Avec le début de la Commune le 18 mars, la ligne proudhonienne est cependant soulignée, derrière la personnalité de Pierre Denis, remplaçant de Vermersch (parti fonder de son coté Le Père Duchêne), alors que Vallès, politiquement engagé, s'efface.

Maxime Jourdan se concentre par conséquent sur les articles. On retiendra de ses analyses, outre la pluralité des socialismes qui s'entrechoquent dans la rédaction, la sourde division concernant le rapport à Versailles : collaborer ou faire la guerre? Si la rupture est officiellement choisie à partir du 11 avril, la revue tente néanmoins de chercher la conciliation par médiation, notamment via l'Alliance républicaine des départements et la franc-maçonnerie parisienne.

Pour le reste, on est un peu déçu de ne pas sentir la revue vivre, palpiter dans les rues de Paris, s'ébrouer, s'enflammer au gré des rencontres et des oppositions humaines. La faute aux sources... On regrette aussi que la chronologie choisie par l'auteur ne soit pas plus large, avec un avant «pré-historique» - quid des rédacteurs dans les années 1860? - et un après : la IIIe République, Vallès, etc. Que sont-ils devenus? Le format Maîtrise ne se prêtait sans doute pas à ces digressions.

Mais l'étude est sérieuse et prenante, riche en outre de quelques reproductions du journal ponctuant le récit, et d'annexes riches : une chronologie de la Commune, la liste des articles et la reproduction de nombre d'entre eux, un index des noms, une bibliographie enfin.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 14/04/2006 )
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