L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Des résistances religieuses à Napoléon - (1799-1813)
de Bernard Plongeron
Letouzey & Ane - Mémoire chrétienne au présent 2006 /  31.50 €- 206.33  ffr.
ISBN : 2-7063-0237-2

L'auteur du compte rendu: Agrégé, Pierre Triomphe vient de soutenir une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines d’une mémoire nationale». Il a publié L’Europe de François Guizot (Privat, 2002).

Le sacerdoce contre l’Empire

Bernard Plongeron est un spécialiste reconnu de l’histoire de l’Eglise à l’époque révolutionnaire. Sous le titre Des résistances religieuses à Napoléon (1799-1813), il a réuni différents articles et interventions, qui traitent tous des rapports entre l’Eglise, et particulièrement l’épiscopat, et l’Etat sous le Consulat et l’Empire. Le plan d’ensemble est chronologique, même si les différents chapitres, comme souvent dans ce genre de recueil, sont des entités indépendantes, en dehors d’une introduction qui dessine à grands traits l’évolution de ces relations et l’historiographie qui leur a été consacrée.

L’événement central de cette époque est bien entendu le Concordat de 1801, et les articles organiques imposés par le Premier Consul l’année suivante. Les premiers chapitres nous présentent la situation du clergé à la veille de cet accord entre le Saint-Siège et l’Etat napoléonien, alors que les divisions inaugurées par la constitution civile du clergé font encore rage, et se superposent aux clivages issus de l’Ancien Régime, à commencer par l’opposition entre gallicans et ultramontains. L’épiscopat réfractaire est traversé par des dissensions toujours plus profondes à l’égard des nouveaux serments imposés depuis le Directoire, que la dispersion géographique résultant de l’émigration ne font qu’aviver. Quant à l’épiscopat de l’ancienne Eglise constitutionnelle, qui a pris la dénomination d’Eglise gallicane, il souhaite la réconciliation avec Rome, mais n’entend pas pour autant renier son attitude passée. La signature du Concordat, qui redonne une existence légale à une Eglise de France entièrement réorganisée, n’amène qu’une réconciliation partielle. Nombre d’évêques d’Ancien Régime refusent la démission exigée par le Pape, et certains vont même être à l’origine du schisme de la Petite Eglise, sur lequel l’auteur ne s’étend guère. Quant aux évêques constitutionnels pourvus d’un siège dans la nouvelle Eglise concordataire, la question de leur rétractation, demandée par Pie VII et surtout avec un zèle intempestif par son légat, le cardinal Spina, ne se résout, de manière équivoque, qu’après le sacre impérial, et les rapports entre les anciens jureurs et le reste du clergé s’enveniment à nouveau par la suite, notamment à partir de la Restauration.

Auparavant, c’est surtout la conception impériale du gallicanisme, marquée par les coups de force des articles organiques en France, mais aussi en Italie, qui aboutit à une rupture progressive à partir de 1805 entre Napoléon et le Saint-Siège. La volonté de mettre le pouvoir spirituel au service du pouvoir temporel se manifeste par le célèbre catéchisme impérial de 1806, dont l’auteur retrace la genèse, en soulignant le rôle personnel de Napoléon dans la rédaction d’un texte qui menace de «damnation éternelle» ceux qui désobéiraient à l’Empereur. L’épiscopat concordataire, même gallican, préférerait pour sa part préserver une certaine indépendance de la sphère religieuse, comme le montre l’auteur à travers une analyse lumineuse et subtile de la célébration de la figure impériale par les évêques, notamment à travers la formule apparemment stéréotypée de «nouveau Cyrus», dont il montre toute la complexité. Le contrôle de plus en plus tatillon du pouvoir, qui concerne également le domaine religieux, conduit une partie significative de cet épiscopat, pourtant composé principalement de fidèles de l’Empereur, à prendre position pour le Saint-Siège dans sa lutte contre Napoléon.

De 1805 à 1807, puis à partir de 1808, Pie VII refuse l’investiture canonique aux évêques nommés par l’Empereur. L’opposition sur les relations entre les pouvoirs temporel et spirituel se double d’un conflit de souveraineté, avec l’occupation puis l’annexion, en 1809, des états pontificaux. Bernard Plongeron nous fait suivre les développements de la crise qui s’ensuit. Le concile de 1811 est réuni par Napoléon afin de pouvoir se passer de l’investiture pontificale ; encore faut-il faire accepter sa validité à un Pie VII, retenu prisonnier à Rome, puis à Savone et enfin en France, où Napoléon de retour de Russie croit temporairement triompher par le «concordat de Fontainebleau». Mais la rétractation du Pape et les désastres militaires de la campagne d’Allemagne mettent un terme à cette tentative. Pie VII, ce frêle vieillard dépourvu de moyens matériels, sort finalement victorieux et libre de cet affrontement contre le conquérant de l’Europe, et contribue à relever l’image de la papauté auprès des populations italienne et française, qui ont eu l’occasion de voir, pour la première fois, le chef de l’Eglise romaine.

Les divers épisodes traités par l’ouvrage de Bernard Plongeron, souvent étudiés à partir de sources inédites, apportent des éclairages stimulants sur nombre d’aspects majeurs des relations entre l’Eglise et l’Etat. Ils permettent de (re)découvrir certaines figures hautes en couleur, comme Mgr Bernier, une créature napoléonienne aux méthodes souvent retorses. Cependant, une telle lecture doit être complétée par celle des synthèses qui remettent ces différentes analyses en perspective, on songe notamment aux Défis de la modernité (1750-1840) du même auteur, le tome 10 de la somme consacrée à l’Histoire du Christianisme, à l’Histoire religieuse de la France contemporaine de Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, ainsi qu’à l’ouvrage récent de Jacques-Olivier Boudon, Napoléon et les cultes, dont le Dictionnaire des évêques et vicaires généraux du premier empire permet par ailleurs de compléter nombre de portraits esquissés par Bernard Plongeron.

Pierre Triomphe
( Mis en ligne le 19/06/2006 )
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