L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Napoléon, l'esclavage et les colonies
de Thierry Lentz et Pierre Branda
Fayard 2006 /  25 €- 163.75  ffr. / 358 pages
ISBN : 2-213-62987-0
FORMAT : 16,0cm x 24,5cm

L'auteur du compte rendu : Agrégé d’histoire et titulaire d’un DESS d’études stratégiques (Paris XIII), Antoine Picardat est professeur en lycée et maître de conférences à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ancien chargé de cours à l’Institut catholique de Paris, à l’université de Marne la Vallée et ATER en histoire à l’IEP de Lille, il a également été analyste de politique internationale au ministère de la Défense.

De l’histoire, pas de la mémoire

La politique coloniale de Napoléon est un sujet difficile à étudier. Pas faute de sources, mais parce que des groupes de pression très actifs tentent d’imposer leur vision de cette question. C’est une vision dans laquelle une certaine mémoire prétend l’emporter sur l’histoire et orienter a priori le travail de l’historien. Les préalables sont simples : Napoléon était raciste et il a mené à Saint-Domingue une guerre raciste d’extermination. Quiconque n’adopte pas ces postulats est immédiatement accusé de complicité rétroactive, et par conséquent soupçonné de racisme. L’année 2005 a été marquée par la publication d’un livre en ce sens, Le Crime de Napoléon (Editions Privé), par des polémiques suant la mauvaise foi sur la célébration du bicentenaire d’Austerlitz et sur le général Dumas, et par des dénonciations, allant jusqu’à une action en justice, contre des historiens qui avaient le tort de ne pas souscrire aux vues de ces groupes de pression.

C’est donc peu dire que le livre de Pierre Branda et Thierry Lentz sent le fagot. À première vue, la carte de visite des auteurs est plutôt rassurante : il ne s’agit pas de pamphlétaires, mais d’historiens qui ont tous les deux déjà publié des ouvrages sur la période. Notamment Thierry Lentz qui est directeur de la Fondation Napoléon, et qui dirige une colossale réédition de la correspondance générale de Napoléon, destinée à rafraîchir, en la complétant, celle qui date du Second Empire et compte tout de même 32 volumes !

Puisque les auteurs ont choisi un terrain instable et défavorable, ce que Napoléon n’aurait surement pas approuvé, ils ont une idée de manœuvre, et elle est simple : faire de l’histoire. Ils ne se posent ni en juges, ni en avocats, ni en redresseurs de torts ou tout autre posture inappropriée. Ils cherchent donc à établir des faits et à leur donner un sens. La plupart de ces faits sont connus depuis toujours. Napoléon a rétabli l’esclavage dans les colonies par la loi du 30 floréal an X (20 mai 1802). Il partageait sans aucun doute la plupart des préjugés racistes de son temps. Il a envoyé un corps expéditionnaire reprendre Saint-Domingue aux anciens esclaves dirigés par Toussaint Louverture. Les instructions données à ces troupes étaient particulièrement sévères et elles commirent de nombreuses et impardonnables atrocités contre les populations noires de l’île. Lesquelles de leur côté, ne furent pas en reste.

Puisque tout cela était déjà connu et ne devrait pas prêter à polémique, que reste-t-il ? Beaucoup de choses en vérité. Si la bibliographie sur l’époque napoléonienne est presque infinie, elle est plutôt mince sur la politique coloniale. Peut-être par mauvaise conscience, à cause des faits rappelés ci-dessus, mais aussi parce que le sujet semble très périphérique par rapport aux grands thèmes de la période : l’héritage de la Révolution, la réorganisation de la France, les guerres continentales et la reconfiguration de l’Europe. Pierre Branda et Thierry Lentz entendent démontrer que ce défaut d’intérêt n’est pas justifié. Selon eux, la politique coloniale, et sa pierre angulaire que fut l’expédition de Saint-Domingue, s’inscrivait dans un grand dessein géopolitique de présence française sur le contient américain, et au-delà d’influence mondiale.

Ils rappellent la place considérable que tenait le commerce avec les îles à sucre, et tout particulièrement Saint-Domingue, dans l’économie de la fin de l’Ancien régime. Puis ils décrivent l’évolution des relations entre ces îles et les gouvernements français depuis le début de la Révolution. Les décisions de Bonaparte sont replacées dans la double perspective de son grand dessein supposé et des considérations économiques. Le rétablissement de l’esclavage, le rôle du lobby colonial et l’expédition sont expliqués. De même que la cruelle guerre entre troupes françaises et anciens esclaves, qui se termina par la défaite des premières. Cette défaite, et la reprise de la guerre contre l’Angleterre, maîtresse des mers et donc des routes vers l’Amérique, mit fin au rêve colonial de Napoléon.

Au total, Pierre Branda et Thierry Lentz se sont remarquablement tirés d’un sujet malheureusement très risqué. On peut souscrire ou pas aux analyses des auteurs, mais il s’agit d’un débat sur l’histoire et sur rien d’autre.

Antoine Picardat
( Mis en ligne le 18/10/2006 )
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