L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Marc Bloch
de Olivier Dumoulin
Sciences po - Références façettes 2000 /  13.74 €- 90  ffr. / 329 pages
ISBN : 2-7246-0791-0

Le Savant, le Soldat et le Citoyen

Qu’est-ce que l’histoire ? L’histoire est-elle science, art, devoir ou caprice ? Des questions semblables se posent lorsque l’on considère l’historien : est-il un collectionneur d’objets rares ou un érudit, un inquisiteur ou un juge, un conseiller des princes ou un simple artisan ? Marc Bloch (1886-1944), grand historien français de ce siècle, a donné la sienne : "Le bon historien, écrit-il dans son "Apologie pour l’histoire", lui, ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier".

L’histoire de l’histoire a fait de grands progrès : des figures, des écoles, des réseaux et des comportements commencent à être mieux connus grâce à des travaux universitaires et à des publications de documents. Olivier Dumoulin, historien, maître de conférences à l’université de Rouen, est un précurseur en la matière. Auteur d’une thèse importante et malheureusement inédite (Profession historien 1919-1939, un métier en crise, soutenue en 1983 à l’EHESS), il dirige actuellement un séminaire à Sciences Po sur le rôle social de l’historien et prépare un ouvrage sur ce même thème dont l’actualité la plus récente -pensons aux comparutions des historiens lors du procès Papon- confirme la nécessité.

Comme le remarque Olivier Dumoulin en introduction à son étude, Marc Bloch semble jouir depuis dix ans des faveurs de la mémoire collective, au travers de nombreux baptêmes de rues, places, lycées et autres lieux publics, alors qu’il a été pendant longtemps oublié. Marc Bloch, historien, médiéviste de renommée mondiale -auteur des Rois Thaumaturges (1924), des Caractères originaux de l’histoire rurale française (1931) et de la Société féodale (1939-1940)-, publia également de nombreuses études sur l’épistémologie de sa corporation -citons à nouveau l’Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, parution posthume de 1949. Il fut aussi l’un des acteurs les plus importants de la discipline historique dans la première moitié du siècle.

En 1929, il fonda avec Lucien Febvre, la revue des Annales d’histoire économique et sociale, point de départ d’une école historiographique française encore très puissante aujourd’hui. Marc Bloch fut enfin l’auteur d’un texte capital, témoignage de son expérience de la débâcle française en 1939-1940. L’Etrange Défaite dessine les traits d’un homme derrière qui l’historien s’efface pour laisser place au citoyen et au soldat, au futur résistant, mort pour la France, assassiné par les Allemands en 1944.

Dans le cadre de l’approche biographique originale que viennent de lancer les Presses de Sciences Po, Olivier Dumoulin étudie l’homme sous ses nombreuses facettes en se référant aux différents écrits et regards portés sur sa personne. L’ouvrage en quête d’une cohérence, tout autant que de nuances, recense patiemment dans une première partie, non sans critiques, les différents portraits de Marc Bloch esquissés en un siècle, en Europe comme aux Etats-Unis. Particulièrement intéressante, la question des rapports entre Bloch et Febvre apprendra au lecteur les dissensions très fortes entre les deux hommes là où l’on supposait une grande amitié Fondateurs des Annales, les deux historiens ne doivent pas être mis sur le même plan, tant du fait de rivalités mandarinales que de divergences plus profondes concernant la méthode. De façon très schématique, à l’individualisme de Febvre s’opposerait le sociologisme de Bloch. Sont également évoquées les relations de l’homme avec l’histoire -il est le fils de l’historien Auguste Bloch-, avec le marxisme -qui n’est pas aussi important qu’on a pu le croire-, avec la politique -ce qui pose la question des relations entre le travail d’historien et l’intervention sur la place publique. La question de la judéité qu’il ne revendiquera que sous Vichy est également abordée.

En quelque 300 pages, c’est un personnage passionnant qui est peint avec une plume agréable par Olivier Dumoulin qui ne s’interdit pas le recours au "je". Comme le souligne un encadré proposé au début de l’ouvrage par l’éditeur, le Marc Bloch d’Olivier Dumoulin s’adresse à un "public motivé". Il est évident qu’un intérêt pour l’historiographie française doit commander la consultation de cet ouvrage. Dans ce cas, il devrait être pleinement apprécié.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 12/10/2000 )
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