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Histoire & Sciences socialeset Temps Présent  

Bokassa Ier, un empereur français
de Géraldine Faes et Stephen Smith
Calmann-Lévy 2000 /  22.75 €- 149.01  ffr. / 390 pages
ISBN : 2-7021-3028-3

Le drame centrafricain

En 1998, cent ans après Fachoda, l’armée française quittait la Centrafrique et ce pays accédait enfin à un semblant d’indépendance chaotique. Ce siècle de présence française est l’enjeu de ce Bokassa, au-delà de la personnalité, bouffonne et pathétique, d’un tyran africain ordinaire, qui aura réussi à capter davantage l’attention que ses collègues en dictature. Comme les auteurs le rappellent justement, "au regard de ses pairs africains, Bokassa incarne plutôt la norme que l’exception" (p. 365).


Fondée essentiellement sur des entretiens avec les acteurs de l’histoire franco-africaine récente, cette enquête nous rappelle fort à propos toute la noirceur d’une partie de notre histoire coloniale. Dans les années 20 et 30 du XXe siècle, la corvée, forme moderne d’esclavage, règne sur l’Oubangui-Chari, devenu le cul-de-sac de l’Empire français, après que l’affaire de Fachoda eut mis fin à notre expansion vers l’Est africain À ce premier âge de la colonisation succède sans transition ni vrai changement celui du "néo-colonialisme" sous sa forme la plus caricaturale.

Rejetant une ironie facile, les auteurs dépeignent leur anti-héros avec humanité : animé d’un certain dynamisme, Jean-Bedel Bokassa s’était élevé à la force du poignet jusqu’à devenir officier de l’armée française. Dans ce qui suivit, sa responsabilité est moins engagée que celle d’une classe politique française aux conceptions géopolitiques sommaires. En 1960, son pays devenu indépendant, le voilà chef d’état-major de l’armée centrafricaine. En 1966, il renverse le faible président David Dacko et prend sa place. Président à vie en 1972, maréchal en 1974, empereur en 1976, Bokassa est renversé par la France en 1980. Jusqu’alors, par crainte du communisme, nos présidents successifs avaient appuyé les dictatures africaines jusque dans leurs aberrations les plus flagrantes. Organisé par les Français, le fameux sacre napoléonien de Bokassa avait été l’apothéose de cette politique. Exilé en France, emprisonné dans son pays de 1986 à 1993, l’ex-empereur mourut dans le dénuement en1996, oublié de ses anciens protecteurs. Dans la Centrafrique, la France, en se retirant, ne laisse que des ruines.

Les lecteurs de Lauzier (Lili fatale) reconnaîtront une fois de plus combien, en son temps, le satiriste a su rendre certaines vérités mieux que bien des commentateurs prétendus sérieux. Quant à Bokassa, "image fidèle du nègre blanc", "créature hybride du néo-colonialisme à la française" (p. 367), il apparaît en définitive comme la figure emblématique d’une Afrique transportée trop vite du Moyen Age à l’ère nucléaire et qui, dans cette soudaine révolution, perdit son âme et sa raison.

De tout cela, notre classe politique – au premier chef le président Giscard d’Estaing, mais aussi Jacques Foccart, Bernard Tapie, François Mitterrand, Roland Dumas et bien d’autres – ne sort pas grandie, la France en général non plus. Étions-nous assez civilisés nous-mêmes pour porter la civilisation au-delà des mers ? Cette question lancinante du "péché colonial" n’a pas fini de tourmenter la conscience de l’homme blanc.

Thierry Sarmant
( Mis en ligne le 13/11/2000 )
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